« A la loupe » (2013)
Patate, cartoufle et pomme de terre : Parmentier récompensé
Pour les français, Parmentier est l'inventeur de la pomme de terre. Il est mort en 1813, il y a 200 ans. Et c'est l' Académie de Besançon qui avait été la première à reconnaître ses mérites de chercheur dans ce domaine.
Cette image populaire de la fin du XIXème siècle représente un épisode célèbre de la légende de Parmentier : les curieux cherchent à pénétrer dans un champ de patates qui est gardé par les soldats du roi.

Au XVIIIe siècle, l'agronomie est la science de l'avenir. C'est pourquoi les Académies provinciales proposent des concours sur ce thème, un peu comme les prix Nobel aujourd'hui.
Dans les années 1769-1771, la France connaît encore des épisodes de famine, et des émeutes de la faim.
En 1772, Parmentier présente devant l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon, un "mémoire" en réponse à cette question: "indiquer les végétaux qui pourraient suppléer en temps de disette à ceux que l'on emploie communément à la nourriture des hommes et les moyens d'y remédier".
L'image sur Gallica : La botanique mise à la portée de tout le monde

Le 24 août 1772, l’Académie bisontine récompense Antoine-Augustin Parmentier en lui décernant son premier prix, pour la qualité de son analyse sur l’amidon de la pomme de terre.
En bon chimiste, Parmentier défend les qualités des substances dont sont constituées les pommes de terre et met en avant leur rôle alimentaire. Cette récompense marque le début du rôle joué par Parmentier dans la diffusion de la pomme de terre en France.

Le manuscrit original du mémoire de Parmentier a été restauré en 2013 par la Bibliothèque municipale de Besançon. Il se compose de 11 feuillets.
L’enveloppe cachetée permet d’identifier l’auteur du mémoire. Elle porte une citation de deux vers de la Henriade de Voltaire :
« De la cruelle Faim le besoin consumant
Semble étouffer en nous tout autre sentiment »
Les sept autres concurrents (tous comtois) ont choisi une devise latine, biblique ou classique. Parmentier choisit un auteur contemporain, le plus connu des « Philosophes ».

Parmentier publie fin 1772 son mémoire dans le Journal de l’agriculture.
Puis, dans l’Examen chymique des pommes de terre, il résume ainsi ses recherches : « C'est le simple examen d'une racine longtemps méprisée sur laquelle il reste encore des préjugés, que je présente ; j'aurai rempli mon but si je puis contribuer à les détruire ».

En 1772, la proposition de Parmentier, faire du pain à base de pomme de terre, n’est pas originale. Sur les 8 mémoires reçus par l’Académie, 7 citent la pomme de terre comme une des solutions à la disette.
Dès 1755, un académicien de Besançon montre que cette racine peut faire « d’assés bon pain », et en 1768, le mémoire primé au concours dit déjà des pommes de terre qu’on « peut même en faire de bon pain … elles n’effritent point la terre, on peut conséquemment les semer dans les jachères ».
Un autre académicien de Besançon, Billerey, dessine un pied de pomme de terre dans son ouvrage de botanique écrit en 1748-1749.

En effet, la pomme de terre est introduite en Europe à la fin du XVIe siècle. Elle est originaire des Andes où elle est cultivée à date très ancienne.
Gaspard Bauhin est le premier à donner une description botanique de la pomme de terre en 1596, dans un livre publié à Bâle. Il est professeur de médecine à l’Université de Bâle et médecin du duc de Wurtemberg à Montbéliard.
Il la classe dans la famille des solanacées, et lui attribue son nom scientifique actuel de Solanum tuberosum « en raison de la ressemblance de ses feuilles et de ses fruits avec la tomate, et de ses fleurs avec l’aubergine, ainsi que pour sa semence qui est celle des solanum, et pour son odeur forte qu’elle a de commun avec ces derniers ».
Dans la réédition de 1598, il ajoute une mention : esculatum, c’est-à-dire mangeable, comestible.

Premières recettes de pomme de terre, chez Gaspard Bauhin en 1598 :
« Chez nous (c’est-à-dire en Franche-Comté), on cuit le tubercule sous la cendre, et après l’avoir épluché, on le mange avec du poivre.
Quelques-uns les nettoient, les coupent en tranches, les font rôtir, et les fricassent dans une sauce grasse avec du poivre et les mangent de façon à exciter le désir de Vénus et à augmenter le sperme.
D’autres les considèrent comme bienfaisantes pour les gens affaiblis : ils les tiennent pour un bon aliment, car ils nourrissent autant que les châtaignes et les panais et qu’ils sont flatulents.»
Son frère, Jean Bauhin crée le jardin botanique du duc de Wurtemberg à Montbéliard, un des plus anciens d’Europe.
Dans son livre publié en 1650, il décrit la pomme de terre sous la rubrique papas americanum et explique que «cette plante se répand et se développe par boutures, de façon remarquable».
Il ajoute que les Comtois pratiquent une méthode de culture inspirée de la viticulture : «ils provignent ou ils marcottent une partie des branches étant inclinées dans la terre, et recouvertes de terre pour produire plus de truffes».
Au début du XVIIIe siècle, des familles anabaptistes de Berne s'nstallent dans la principauté de Montbéliard ; ils cultivent la pomme de terre et remplacent notamment la jachère par une plantation de tubercules.
La culture de la pomme de terre est également attestée en 1729 à Giromagny ; en 1742 dans la seigneurie de Rosemont ; avant 1750 dans les Vosges comtoises, vers Luxeuil; en 1755, à Mersuay près de Port-sur-Saône.

En 1600, Olivier de Serres consacre une page à «cet arbuste, dit Cartoufle, [qui] porte fruict de mesme nom, semblable à truffes».
L’agronome, installé en Ardèche où il crée une ferme modèle, utilise le terme cartoufle, le tubercule étant «semblable à truffes», sous l’influence du nom italien taratouffli (petite truffe), d’où vient aussi l’allemand Kartoffel.
Aujourd’hui encore en Ardèche, on appelle les pommes de terre Truffoles (du patois las Trifòlas).
L'image sur Gallica : Le Théâtre d'agriculture, Olivier de Serres

Une cousine de la pomme de terre : la patate douce (Ipomoea batatas)
Son nom en quechua est batata ; on l'appelle aussi camote en Amérique centrale et au Pérou.
La patate douce est largement cultivée dans les régions tropicales où ses tubercules comestibles jouent le même rôle que ceux de la pomme de terre. A la différence de la pomme de terre, les feuilles de patate douce, qui appartient à la famille des Convolvulacées, peuvent être consommées.

La légende de Parmentier
A la fin du XIXe siècle, la troisième République intègre Parmentier à ses gloires nationales, celles qu’on célèbre à l'école.
Aux dépens de son immense travail scientifique de chimiste alimentaire, nutritionniste, hygiéniste et agronome, l’œuvre de Parmentier est réduite à «l'invention» de la pomme de terre.

Dans les chromos publicitaires comme dans les journaux illustrés, c’est ce seul aspect qui apparaît : Parmentier, «bienfaiteur de l’humanité», d’une pauvre famille de Picardie, réussit à faire planter des pommes de terre dans toute la France, alors qu’on se méfiait de cette plante originaire d’Amérique ; elle devient le pain des pauvres et met un terme miraculeux aux famines du royaume.
Des anecdotes se créent : Parmentier faisant garder la première plantation par des soldats le jour, pour que les Parisiens la nuit volent le tubercule et s’habituent à son goût ; Louis XVI accrochant une fleur de pomme de terre à sa boutonnière…
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