« A la loupe » (2012)
Un Livre d’heures de Besançon (1470)
Le livre d’heures est l’objet médiéval le plus répandu à travers le monde : cela témoigne d’une production énorme de ces manuscrits à l’époque. Les collectionneurs le recherchent pour ses belles enluminures, tout comme les riches bourgeois du XVe siècle qui souhaitaient acquérir un objet de prestige, souvent leur seul et unique livre.
Les marges fleuries sont une décoration très fréquente de ces livres, plus que les miniatures qui nécessitent de recourir à un peintre plus spécialisé.

Un livre d’heures est un livre de prières destiné à des laïcs. Les prières sont lues à voix basse à plusieurs moments de la journée, qui correspondent aux heures canoniales, c’est-à-dire les heures de prières des religieux, fixées par les canons de l’Eglise, 8 fois par jour : matines, laudes, prime (6h), tierce (9h), sexte (12h), none (15h), vêpres (18h) et complies (les heures varient avec le soleil : exemples d’heures à l’équinoxe du 21 mars ou 21 septembre).

Ce livre (Ms Z 705) a été copié et enluminé à Besançon, car les peintures sont similaires à celles du bréviaire de Charles de Neuchâtel conservé à Besançon (Ms 157), et à deux autres livres d’heures conservés à Auckland (Central Library, Gray Coll., Ms 14) et à New-York (Pierpont Morgan Library, Ms 28).

Les peintres d’enluminures ne signaient pratiquement jamais leurs oeuvres, on les désigne souvent d’après le nom d’un ouvrage ou d’un commanditaire marquants : il s’agit ici de l’atelier du maître de Charles de Neuchâtel, l’archevêque de Besançon. Celui-ci a fait réaliser plusieurs manuscrits enluminés pour son diocèse (dont le Ms 157), ainsi que des livres imprimés dès cette époque.

Le livre d’heures est un produit très demandé au XVe siècle. Ceci explique une fabrication en série, y compris pour les enluminures (les illustrations : peintures ou miniatures et lettrines). Les scènes et personnages représentés sont à la fois très stéréotypées et toujours uniques. C’est le talent du peintre qui fait la différence : les peintres les plus connus sont Jean Fouquet ou Jean Bourdichon en France, Simon Bening en Flandre. Ici, le style de l’enlumineur est reconnaissable à ses visages ovales et aplatis.

Un commanditaire est représenté ici devant la Vierge, avec ses armoiries dans la marge (comme au f. 18 v°) ; il s’agit de la famille de Vercors, de Die dans la Drôme. Ce livre a été acquis en 2010 par la bibliothèque, avec l’aide des Amis des Musées et des Bibliothèques et du Ministère de la Culture.

Christopher de Hamel nous fait entrer dans la peau d’un possesseur de livre d’heures au XVe siècle : on pousse avec lui la porte de la boutique du libraire, souvent proche de la cathédrale (Rouen, Paris), on fixe alors le prix et la composition des prières, qui peuvent varier selon le voeu du client. Il existe un schéma type, autour des Heures de la Vierge, avec toujours un calendrier liturgique au début du livre.
Réf : De Hamel, Une histoire des manuscrits enluminés, ch. 6, BM Etude 75846

On peut aussi trouver des Heures de la Passion, un office des morts, des litanies des saints. Suivant le prix et l’acompte versé, le libraire choisit dans son stock un livre déjà fabriqué, neuf ou d’occasion, ou contacte des artisans pour la copie du texte et la réalisation des lettrines, des marges (fleuries) et des peintures. Compter environ 3 mois pour la fabrication du livre.

Le livre d’heures peut alors servir plus ou moins intensivement, suivant la piété de son propriétaire : lorsque le bord des pages est noirci par les doigts (ou massicoté pour retrouver un bord plus net), les heures ont dû être récitées souvent à voix basse. Lorsque le livre est en excellent état, cela indique plutôt un fidèle qui ne récitait que les premières heures avant de débuter sa journée, ou qui se contentait d’en montrer les enluminures à ses amis.

Ce livre a été fabriqué à Besançon, mais il est « à l’usage de Rome ». On pouvait aussi commander à Paris un livre d’heures « à l’usage de Besançon ». Jusqu’au concile de Trente, au XVIe siècle, les diocèses ont leur propre liturgie et leurs saints patrons. Ceux de Besançon, Ferréol et Ferjeux, apparaissent bien dans le calendrier du début du livre.
![An[tienne] : Assumpta...](/images/a931cb61-047c-40f8-9576-f95ed1e55364_2_column.jpg)
Pour savoir s’il s’agit de l’usage de Rome, il suffit de noter le début de certaines séquences chantées ou récitées, à la fin de l’office de Prime (6h) :
- antienne : Assumpta est...
- capitule : Quae est...
Réf : De Hamel, Une histoire des manuscrits enluminés, ch. 6, p. 180, BM Etude 75846

Toujours pour l’usage de Rome, on peut noter à la fin de l’office de None (15h) :
- antienne : Pulchra es...
- capitule : In plateis...
A comparer avec le début des mêmes séquences dans l’usage de Besançon :
Prime :
- antienne : Ecce tu pulchra...
- capitule : Ego quasi...
None :
- antienne : Fons hortorum...
- capitule : Et radicavi...

Un autre livre d'heures enluminé à l'usage du diocèse de Besançon, réalisé au XVe siècle par un artiste « bourguignon » de Dole ou de Besançon est celui-ci :
Sa reliure est aux armoiries peintes (d'azur à 6 coquilles d'argent, 3, 2 et 1, accompagnées en coeur d'un soleil d'or ; d'azur à la fasce d'or accompagnée en chef de 3 pointes renversées d'or et en abîme d'une quartefeuille d'argent) et monogramme GG, non identifiés.