« A la loupe » (2013)
Le mystère Raphaël en cartes postales (1913)
En 1913, plusieurs cartes postales signées Raphaël sont envoyées avec des énigmes de cinq mots : « Unter den Linden von Vesontio », « Bonnes jambes pour les vacances », « Admire ce coin petite artiste ».
Qui est ce Raphaël qui écrit à sa cousine Lucie, à Gray ? Toujours avec la même série de cartes postales, environ 50 entre 1913 et 1917. Peut-on redonner vie à cette famille à partir de ces bribes de textes ? Menons notre enquête en utilisant aussi la généalogie.

"Villa Raphaël, rue Midol"
1ère étape : reclasser dans l’ordre chronologique (liste des cartes envoyées), repérer les prénoms et les noms, et les relations dans la famille.
- Raphaël à Besançon - Jeanne sa fille - Louise son épouse - Cléopha, sa mère - Lucie Blanchot, sa cousine ou sa soeur à Gray - Hubert Blanchot, l’époux de Lucie - les enfants Blanchot : Suzanne, Jean, René, Lise

« Maman arrivé à bon port, sous l’orage »
2ème étape : identifier Raphaël, l’expéditeur.
La plupart des cartes écrites entre 1913 et 1917 sont signées Raphaël (et parfois Jeannette), mais deux ou trois sont signées Pingenet. Raphaël Pingenet est-il mort au combat pendant la première guerre mondiale vers 1917 ? Le site Mémoire des hommes nous rassure rapidement puisqu'il n'y est pas référencé. Nous trouvons par contre un dossier très complet sur la Légion d’Honneur reçue en 1916 par Raphaël François Pingenet (1868-1941).
Ce dossier de la base Leonore nous apprend qu’il a quitté Besançon en 1917, ce qui explique la fin de sa correspondance bisontine avec la famille Blanchot de Gray.

« On expédiera la jeune personne »
Nous y découvrons avec surprise que ce militaire, châtain aux yeux gris mesurant 1m70, qui a séjourné à Besançon de 1913 à 1917, y est né aussi le 30 avril 1868. Les archives municipales conservent son acte de naissance. Son dossier nous informe qu’il s’est engagé dans l’armée à Besançon, le 10 janvier 1887.

« Fils de Jean Charles Pingenet, garde d’artillerie »
3ème étape : identifier la famille de Raphaël Pingenet.
Grâce à son acte de naissance de 1868, nous pouvons identifier : - son père Jean Charles Pingenet, garde d'artillerie, âgé de 42 ans - sa mère Marie Cléopha Jeanne Desain, née à Toulouse, âgée de 33 ans (née vers 1835)
Grâce aux mentions marginales ajoutées ensuite : - son épouse, Louise Maria Anna Faucillon, avec la date de leur mariage à Bourges, le 4 février 1905.

« Surveille le jeune oiseau »
Le père de Raphaël avait obtenu lui aussi la légion d’honneur en 1871. Son dossier dans Léonore nous apprend qu’il est né à Vallay (Haute-Saône) et qu’il est domicilié à Besançon de 1865 à 1870. A cette date, il est engagé dans l’armée du Rhin, puis retenu en captivité.
Le père et le fils sont représentatifs de ces hommes engagés dans les conflits de 1870 et de 1914-1918 et décorés après guerre. Tous deux ont été formés à l’école de pyrotechnie.

« Bonnes jambes pour les vacances »
On peut poursuivre les recherches aux Archives départementales de la Haute-Saône, pour retrouver les actes de naissance, mariage et décès de Jean Charles Pingenet, le père de Raphaël.
Il épouse en 1857 Marie Cléopha Desain, à Cherbourg où ils sont domiciliés. Ils ont un fils et une fille.

« Admire ce coin petite artiste »
Revenons à Raphaël : son acte de mariage en 1905 apporte d’autres précisions. Louise Maria Anna Faucillon est veuve d’Antoine Bonini, mort en Corse en 1900. L’acte de mariage comporte aussi la reconnaissance de la petite Marie Jeanne Louise née à Bourges le 8 Novembre 1902.
Nous voilà donc très renseignés sur cette famille Pingenet que nous retrouvons dans les cartes, Raphaël bien sûr, Jeanne sa fille, Louise son épouse et Cléopha, la mère de Raphaël.

« Cousine Lucie »
4ème étape : identifier Lucie Blanchot à Gray.
On sait peu de choses de prime abord sur cette famille. On comprend dans la correspondance que Lucie collectionne les cartes postales, elle reçoit en effet de Raphaël la collection « Besançon historique » qui nous permet de découvrir la ville au début du XXe siècle.
Les cartes sont rédigées souvent le dimanche, jour de repos, de nombreuses cartes ne comprennent que cinq mots et sont donc envoyées au premier tarif. Certaines dont colorisées. Lucie répondait certainement à Raphaël mais sa correspondance ne nous est pas parvenue.

« Bonne fête Jeannette, Papa »
Lucie accueille Jeanne à Gray pendant l'été (la fille de Raphaël). Le foyer est composé du couple Lucie et Hubert Blanchot et leurs enfants Suzanne, Jean, René, Lise.
Les éléments manquent pour conclure cette enquête et comprendre les liens entre Raphaël et Lucie.

« L’heure va bientôt sonner de la marche en avant »
Raphaël est officier de l’Etat Major, il se prépare donc à la guerre avec son unité. Il quitte Besançon définitivement en 1917.
Ses cartes postales suivantes provenant d’autres villes se trouvent peut-être dans d’autres collections publiques ou privées.
Epilogue
Les recherches généalogiques des AD70 (archives départementales de Haute-Saône) et des associations SALSA et CEGFC nous ont permis de clore cette enquête : "cousine Lucie" est en fait la seconde épouse d'Hubert Blanchot. C'est sa première épouse, Marie Cléopha Pingenet, qui était la cousine germaine de Raphaël ; elle avait le même nom que sa tante, la mère de Raphaël. C'est elle qui est la mère de Suzanne, Jean et René.
Raphaël Pingenet prend sa retraite à Valay et inaugure le monument aux morts, le 16 novembre 1923, selon l'Eclair Comtois. Il y prononce "un discours empreint du plus pur patriotisme qui provoque l'émotion intense de la foule."
Jean Blanchot meurt pour la France en 1940 (Mémoire des Hommes). Un dossier sur Raphaël Pingenet, sa fiche matricule, est en ligne aux Archives départementales de Haute Marne (via Grand Mémorial).
Bérénice Hartwig
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