« A la loupe » (2012)
Mosaïques antiques à Besançon

La capitale des Séquanes a fourni une riche moisson de mosaïques d’époque romaine. On en a découvert dès la fin du XVIIe siècle. Fortuites tout au long des XVIIIe et XIXe siècles et jusque vers 1950, les trouvailles ont été, depuis, le fruit de recherches programmées d’archéologie préventive.
Henri Stern en inventoriait déjà plus d’une cinquantaine lorsqu’il publiait en 1963 le corpus des mosaïques de Vesontio [1] . Dans les années 1970, les fouilles de Jean-Louis Odouze, en lisière du Collège Louis Lumière, ont révélé la mosaïque de Neptune ; dès la fin des années 1980, Jean-Olivier Guilhot en découvrait au parking de la Mairie, et Laurent Vaxelaire au Conseil régional, puis, après 2000, au Palais de Justice. Enfin, sous la direction de Claudine Munier, les dernières recherches, dans la cour même du Collège Louis Lumière, ont complété la mosaïque au Neptune et montré qu’elle appartenait à un ensemble architectural dont le plan a été reconnu et plusieurs autres mosaïques mises au jour.
Le spectre des pavements découverts à Besançon, autrefois comme aujourd’hui, est large, aussi bien du point de vue chronologique que technique et décoratif.
Les plus anciennes formes de décors de sols paraissent remonter à l’époque augustéenne et sont des mortiers de chaux incrustés de fragments irréguliers, ou de semis de tesselles ou groupes de tesselles, ce qu’on appelle terrazzo ou terrazzo-signinum. A cette période ancienne, il faut déjà rattacher des mosaïques découvertes rues de Lorraine et de la République en 1882, place de la Libération à la fin du XIXe, rue d’Alsace, dans « les fondations des ateliers de l’Ecole supérieure des Garçons » – futur collège Louis-Lumière –, au début du XXe siècle, enfin en 1952 sous l’amphithéâtre des Facultés. Les fouilles récentes ont retrouvé ces niveaux anciens : c’est le cas, notamment, au Palais de Justice, avec une galerie pavée de terrazzo-signinum à semis, qui remonte peut-être à l’époque de Tibère, ou encore dans la cour du collège Lumière, où le péristyle, dès son premier état, était pavé de façon analogue.
Une particularité du site de Besançon est d’avoir livré un ensemble de pavements d’époque flavienne en opus tessellatum noir et blanc, à décor géométrique sobre et bien maîtrisé, de pure tradition italienne. Pour ce groupe, on disposait dès avant 1963 de beaux exemples, surtout après la fouille conduite par L. Lerat en 1952-1953 rue Chifflet, dans les anciens jardins de la Banque de France, promis à des constructions universitaires. Les fouilles du Parking de la Mairie en ont mis au jour, elles aussi, de beaux spécimens, en particulier un grand pavement à double quadrillage de bandes, d’une rare élégance.

C’est sans doute à l’époque antonine, au troisième quart du IIe siècle, qu’il faut attribuer un groupe de mosaïques désormais polychromes, à décor géométrique et figuré, inscrites dans le contexte d’un art gallo-romain bien affirmé. Ce groupe est le plus abondamment attesté et les fouilles récentes l’ont beaucoup enrichi. Henri Sten en dénombrait déjà explicitement une douzaine dans son Recueil, toutes à décor géométrique, soit noir et blanc mais incluant le système du « décor multiple » typique du IIe siècle gallo-romain et plus particulièrement rhodanien, soit traitant en polychromie le motif du quadrillage de bandes à carrés d’intersection débordants, fréquent dans le Nord-Est de la Gaule au IIe siècle. Les découvertes récentes ont non seulement ajouté à la série un bel exemple de quadrillage de bandes, mais surtout, avec les mosaïques du Neptune et de la Méduse, deux nouveaux exemples du système à décor multiple, enrichi de décors figurés. Certes, ces derniers ne sont pas de la meilleure qualité picturale, sauf en ce qui concerne des figures ornementales bien réussies : la tête de la Méduse n’est pas la meilleure de l’abondante série partout attestée dans le monde romain ; quant à l’étrange Neptune, son mélange de maladresse et de hardiesse laisse supposer que son talentueux auteur n’avait pas du tout été formé aux usages des pictores classiques du temps.
L’époque sévérienne enfin, au premier tiers du IIIe siècle, est bien représentée par la luxuriance de pavements polychromes géométriques et figurés somptueux mais aussi par la présence de quelques tapis à la technique moins sûre. Ce groupe est depuis longtemps attesté à Besançon par quelques décors de sols polychromes à ornementation géométrique et florale, comme en témoignait déjà un dessin du XVIIIe siècle recueilli par Caylus, repris par H. Stern ; aujourd’hui, les belles mosaïques géométriques polychromes du Palais de Justice complètent cette série. Mais surtout, le panneau figuré, – hélas très endommagé et dont le sujet demeurera toujours énigmatique, personnage d’acteur en costume, ou entité mythologique revêtue du long chitôn podèrès des acteurs, en tout cas présence à caractère dionysiaque ainsi désignée par le cratère –, montre qu’à cette époque encore les demeures de Besançon avaient su se doter d’œuvres mosaïstiques de tout premier ordre.
C’est ainsi qu’à travers ses mosaïques se laisse entrevoir une cité gallo-romaine qui sut tenir son rang, parmi les premiers, à tous les principaux moments du Haut Empire, sous les Julio-Claudiens comme sous les Sévères, en passant par les Flaviens et les Antonins et qui se montra, à toute époque, profondément ouverte à la romanité, à ses techniques, à ses décors et, comme le prouvent les nouvelles images, à ses contenus esthétiques, culturels et sans doute aussi religieux.
Texte issu du catalogue "De Vesontio à Besançon"
[1] Recueil général des mosaïques de la Gaule, I, Province de Belgique, 3, Partie Sud, Paris, C.N.R.S., 1963 (Xe supplément à Gallia), numéros 263 à 310 (certains renvoient à plus d’un pavement) et planches I à XXIV.