« A la loupe » (2018)
Un ensemble exceptionnel de dessins de Pompeo Batoni
Pompeo Batoni (Lucques, 1708 – Rome, 1787) a été l’un des protagonistes de la scène artistique européenne du XVIIIe siècle. Peintre très estimé de ses contemporains, il jouissait d’une réputation de très grand portraitiste. Sa renommée était telle que les voyageurs du « Grand Tour », généralement britanniques, lors de leur passage à Rome où il vivait depuis 1727, ne perdaient pas l’occasion de lui commander un portrait, dont le décor évoquait la Ville éternelle à travers ses monuments, – le Colisée, le Capitole, la Basilique Saint-Pierre –, ou des références à l’antique, – vases, bustes, statues, piédestaux, colonnes, chapiteaux, sarcophages.

« Né peintre» (« nato pittore »), selon son biographe, il excellait également dans la réalisation de miniatures ou de tableaux de très grands formats, abordant des thèmes religieux, historiques ou mythologiques. Son style mêlait une palette raffinée et lumineuse, caractérisée par de subtiles jeux de couleurs à une importante connaissance de l’antique et des grands maîtres, comme Raphaël, Annibale Carraci, Antoon Van Dyck et surtout Guido Reni, sans être toutefois uniquement ancré dans un héritage classique passéiste, comme le démontre sa réception du néoclassicisme naissant, dont le peintre Mengs était le grand représentant. De plus, le peintre tendait au réalisme, ainsi que le prouvent la justesse physionomique des portraiturés ou l’excellent rendu des matériaux : velours, fourrures, dentelles, broderies, marbres, etc.
Outre ses qualités de peintre, Batoni s’est avéré être un excellent dessinateur, ainsi que l’attestent les copies d’après l’antique, les académies et les nombreux dessins préparatoires disséminés dans les différentes collections du monde, dont celle de Besançon qui en conserve vingt-quatre, presque tous annotés à l’encre brune « Pompeo Batoni ». L’échantillon bisontin, conformément au reste de sa production graphique, montre qu’il utilisait la sanguine ou la pierre noire, souvent rehaussées à la craie blanche et associait parfois ces « trois crayons » afin d’en exploiter toutes les capacités graphiques.

Par ailleurs, plusieurs papiers préparés colorés ont été utilisés : beige, gris, bleu, gris-bleu, jaune voire rose. Ces feuilles soulignent bien tout le soin apporté par l’artiste pendant la phase préparatoire d’une œuvre, qu’il s’agisse d’une miniature, d’un portrait, d’un tableau d’autel ou d’une grande composition mythologique. Elles reflètent son processus de création, des premières esquisses aux compositions entières mises aux carreaux et prêtes à être reportées sur un support, en passant par une reprise des figures isolées ou en groupe.
Les vingt-quatre dessins sont désormais rattachés à des œuvres connues de l’artiste. Le visage de femme, d’abord attribué à Daniele da Volterra, a été mis en rapport avec la femme à l’arrière-plan de la Présentation au Temple peinte en 1736 pour l’église Santa Maria della Pace à Brescia, où elle est encore exposée.

L’Étude pour un saint Matthieu est préparatoire au portrait de l’évangéliste (The National Trust, Basildon Park, Angleterre) peint, avec les représentations des apôtres Jean, Jacques le mineur et Thomas, vers 1740-1743 pour la galerie du palais du Comte Cesare Merenda à Forli.

Sur une même feuille apparaissent le visage de saint Jean Nepomucène de La Vierge à l’Enfant et saint Jean Népomucène, et une figure de la Vierge de l’Annonciation, deux toiles peintes respectivement vers 1742-46 pour l’église Santa Maria della Pace de Brescia et vers 1743 pour l’église Santa Maria Maggiore de Rome, où elles se trouvent toujours. Pour cette même Annonciation, le musée possède aussi une étude des angelots placés près de Marie (D.2290).
Le tableau de l'église Santa Maria Maggiore (Fondation Zeri)

Un groupe de cinq feuilles se réfère à la même composition : La chute de Simon le magicien, peinte entre 1745 et 1755 pour l’église Santa Maria degli Angeli de Rome. Deux sont en lien avec saint Pierre provoquant la chute de l’hérétique. La première est une étude du visage du premier pape alors que la seconde (D.1012) prépare sa main gauche ainsi que l’aigle de l’étendard romain de l’arrière-plan.

L’empereur Néron et le personnage en retrait à sa droite apparaissent partiellement dans deux dessins (D.3002 & D.1026).
Enfin, une feuille (D.1017) est consacrée aux pieds et aux jambes du mendiant assis au premier plan en bas à gauche.

L’Étude de saint Barthélemy et un des bourreaux (D.1015) est à mettre en rapport avec le martyre de saint Barthélemy (Museo Nazionale di Villa Guinigi, Lucques) peint en 1749 pour l’église San Ponziano de Lucques, alors que l’étude d’homme debout (D.1019) correspond à la figure de l’apôtre Jacques le majeur du tableau Saint Jacques conduit au martyre (coll. Koffredo Gutkowski, Cassibile (Syracuse)), réalisé en 1752 pour l’église delle Anime del Purgatorio de Messine.

En lien avec la toile du Bienheureux Bernardo Tolomei secourant des victimes de la Peste, exécutée en 1745 pour la chapelle éponyme dans l’église de San Vittore al Corpo de Milan, le musée conserve deux dessins. Une étude des pieds, des mains et du visage de la pestiférée à laquelle le saint présente un crucifix et une étude complète avec mise aux carreaux (D.1024).

L’Étude de jeune femme effrayée prépare la jeune mère apeurée qui assiste à l’exécution dans Le martyre de sainte Lucie (Museo de la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando de Madrid), œuvre datée de 1759, mais dont la destination originale est inconnue. Les Deux études de femme en buste (D.1013) concernent la sainte femme placée derrière la Vierge Marie dans la Mise au Tombeau peinte vers 1760 (coll. Privée, Treviglio, Bergame).

Un temps considéré comme préparatoire à la figure de la Religion du tableau Le pape Benoît XIV présentant l'encyclique « Ex Omnibus » au comte de Stainville, futur duc de Choiseul (1757, Minneapolis Institute of Arts ; The William Hood Dunwoody Fund), La Religion (D.3064) est en réalité une étude pour la figure de La Foi de l’Allégorie de la Religion (Palazzo Reale, Caserte) , un des modelli de la série de tapisseries commandée par le roi Ferdinand IV en 1763 pour décorer sa chambre au Palazzo Reale de Naples. La confusion est née de la grande ressemblance entre les allégories de la Religion et de la Foi, preuve du remploi de certains motifs, comme celui de l’enfant portant un objet, au premier plan en bas à gauche des deux compositions.

Les dessins de Besançon rappellent également que l’artiste s’est confronté à d’autres types de sujets. Il affronta la peinture d’histoire en immortalisant, sur commande du cardinal Orsini, le pape Benoît XIV présentant en 1756 l'encyclique « Ex Omnibus » au comte de Stainville. Une composition historique pour laquelle le musée possède une étude de l’enfant debout au premier plan.

En 1746, il s’inspira du Facta et dicta memorabilia de Valère Maxime pour le tableau Antiochus et Stratonice (Museo de Arte de Ponce, Fundación L. A. Ferré, Porto Rico), dont les deux femmes en pleine discussion à l’arrière-plan ont été identifiées dans les collections du musée.

Les références mythologiques ont également été des sources d’inspirations pour l’artiste. L’Étude d’Althéa (D.2260) se rapporte à La mort de Méléagre (coll. privée, Milan), thème tiré des Métamorphoses d’Ovide (Livre VIII, 260-546), voulue par le Marquis Lodovico Sardini en 1743. La figure féminine en buste (D.1016), identifiée comme Cérès, a été rapprochée d’une représentation de la déesse des moissons, de l’agriculture et de la fécondité réalisée vers 1763 (coll. privée, Milan). Il peignit également Les Adieux d’Hector et Andromaque d’après l’Illiade d’Homère (Chant VI, 369-502). Cette œuvre souhaitée en 1758 par le Comte de Northampton a disparu. Ainsi les trois feuilles de Besançon en constituent un précieux témoignage, tant les figures étudiées individuellement (D.1029 & D. 2259) que la composition entière mise aux carreaux.

Paradoxalement, le musée ne possède qu’une feuille qui puisse être mise en relation avec un portrait. Il s’agit de la très belle Étude de chien qui correspond à l’animal de compagnie qui apparaît dans le Portrait de Georges Gordon, Lord Haddo (Haddo House près d’Aberdeen, Écosse), réalisé en 1775 à Rome alors que Gordon effectuait son « Grand Tour ».

Léguées par Jean Gigoux, ces vingt-quatre feuilles, en grande partie passées d’abord par la collection du diplomate russe Dimitry Mikhaylovich Golitsyn, constituent le premier fonds de dessins de l’artiste parmi les collections publiques françaises. D’une part, elles témoignent de la constante recherche de perfection dans les formes, les attitudes ou les expressions vers laquelle tendait le peintre. D’autre part, comme Catherine Loisel le rappelait, ces dessins datés entre 1736 et 1775 « […] correspondent à des travaux échelonnés tout au long de la carrière de l’artiste, et sont donc d’un intérêt capital dans l’appréciation de son immense talent ».
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