« A la loupe » (2019)
Les lieux d’enfermement féminins à Besançon
L’histoire de l’univers carcéral féminin a longtemps été oublié contrairement à celle des lieux punitifs masculins (travaux forcés, galères). Jusqu'au XVIIe siècle, les criminelles et délinquantes étaient condamnées à mort ou bannies pour infanticide, sorcellerie, adultère ou vol.
Du fait de l’autorisation de la prostitution dès le XIIIe siècle, les autorités religieuses et civiles ouvrirent des asiles pour accueillir les « débauchées » et les aider à se relever sans les punir. A Besançon, l’hôpital du Saint-Esprit accueillit les femmes dépravées, par charité chrétienne, mais sans grands moyens.
1) Notre Dame du Refuge

Au cours du XVIe siècle, le souci des filles perdues, au sens moral du terme, devint une préoccupation active de l’Église et des autorités. L’idée de leur enfermement « punitif » et rédempteur généra la fondation de plusieurs monastères spécifiques.
A la fin du XVIIe siècle, l’archevêque Antoine de Grammont et le marquis Jean Ignace de Froissard de Broissia, maître des Requêtes au Parlement de Besançon s’attaquèrent à la soit-disant immoralité de la jeunesse féminine.
Ils eurent recours à l’ordre de Notre Dame du Refuge, fondé à Nancy en 1631 par Elizabeth de Ranfaing. En 1693, une maison ouvrit à Besançon pour convertir « les pauvres âmes altérées » par une vie licencieuse et leur assurer le salut. Le nouveau monastère, le Refuge situé rue de l’Orme de Chamars, proche de l’hôpital Saint-Jacques, se développa grâce à la présence de religieuses issues de la noblesse.

La superbe chapelle, édifiée sur les plans de Nicolas Nicole en 1739/1745, résulte des dons de leurs familles. Des filles pénitentes et repenties y entrèrent avec l’espoir de devenir religieuses, mais déconsidérées, ces converses furent cantonnées dans un local et séparées des sœurs nobles et vertueuses par une barrière. Elles assuraient les tâches domestiques et ne pouvaient participer aux offices dans le chœur de la chapelle.

Certaines libertines furent placées de force par leur famille ou les autorités. Le nombre de pécheresses s’intensifia en raison d’une sévérité croissante envers les femmes et d’une augmentation de la misère propice à la prostitution clandestine.
De sa création à la Révolution, le Refuge accueillit 1660 filles qui séjournèrent quelques jours, 6 mois ou des années, selon leur passé, leur condamnation et leurs moyens. L’idéal charitable disparut au cours des années, le Refuge devint un asile mené à la baguette par des religieuses sans grande empathie pour leurs prisonnières.
2) Le bon pasteur

A partir de 1747, le Refuge subit la concurrence de la maison de force dite du Bon Pasteur, créée par l'Aumône dans la rue Saint-Paul (rue Berçot). Le Bon Pasteur devait contribuer à faire cesser les désordres et scandales publics dans la cité. A lire le texte royal, Besançon, qualifiée de Place de guerre, était devenue la nouvelle Babylone !
Le Bon Pasteur retenait des prisonnières coupables de prostitution, de femmes adultères condamnées par la justice le temps de leur peine. Il recevait les vénériennes et des mères célibataires (refusées au couvent du Refuge) et des innocentes placées à titre préventif sur ordre d’un père, mari ou frère, afin d’éviter une condamnation pour mauvaise fréquentation. Le Bon Pasteur fonctionnait avec des « surveillantes » laïques soumises à des règles imposées par l’archevêque.

Les « enfermées » recevaient un uniforme, travaillaient tous « les jours-ouvriers » aux ouvrages les plus pénibles pour inhiber leur fainéantise et priaient chaque jour en présence de religieuses. A leur sortie, aucune réinsertion n’était prévue, si ce n’est travailler au Bon Pasteur gratuitement en échange du logement.
La Révolution mit fin à ces deux centres d’enfermement, bastions du conservatisme et symboles de l’arbitraire de l’Ancien Régime contraire aux nouvelles devises républicaines. Durant un temps, les « débauchées » ne furent pas inquiétées, mais très vite les vieilles idées sur la dangerosité de la sexualité féminine refit surface.
3) Le Refuge rue de la Vieille Monnaie

Le 19e siècle oscilla entre deux attitudes. Il autorisa les maisons de tolérance et la prostitution pour répondre aux ardeurs viriles mais s’acharna sur les femmes dites légères !
En 1839, avec l’accord de l’archevêque bisontin Monseigneur Mathieu, la congrégation moralisatrice des Filles de Notre Dame de la Charité du Bienheureux P. Eudes fonda un monastère doublé d’un Refuge pour l’accueil les filles mineures « tombées » ou en danger moral. A l’origine, l’ensemble se situait au 12 rue de la Vieille Monnaie. Peu à peu, les Religieuses achetèrent les maisons voisines, du numéro 4 au 10 au 4 et le 5 de la rue du Gal Lecourbe. En 1877, elles firent édifier la chapelle et se réservèrent un autel séparé par une grille.

Au final, le Refuge comprit 3 bâtiments distincts abritant des causes différentes :
- Le couvent avec son réfectoire, ses cellules et un dortoir, son jardin et son cloître.
- Le Refuge, lieu de vie et de travail des pénitentes de la première heure puis des délinquantes placées par la police et la justice. A leur entrée, de 1839 à 1952, les pénitentes quittaient leur prénom de baptême pour un nouveau symbolisant l’abandon de leur ancienne vie délurée.
- Le troisième site, la Préservation était destinée aux préservées, des orphelines et des fillettes délaissées par leurs parents ou placées par leur famille. Dans le même édifice vivaient les Madeleines, des pénitentes ou des préservées souhaitant prendre l’habit des Tertiaires du Cœur de Marie.
L’ensemble était clos de hauts murs, de grillages et de portes fermées à clé. A toutes les époques, les contacts entre les pénitentes et les préservées étaient interdits, par peur de la contagion. Religieuses, pénitentes et préservées vivaient dans un emprisonnement total, difficile à supporter. Certaines pénitentes, ne supportant plus les brimades s’évadèrent et disparurent dans la nature.

Les habits monastiques
- Les Religieuses de chœur ou professes, les maîtresses des lieux étaient toutes issues de bonnes familles. Ces vierges étaient reconnaissables à leur voile noir, leur robe blanche enfilée sur une tunique noire et petit cœur d’argent, visible ou caché.
- Les sœurs converses portaient des voiles de toile blanche et une robe brune ou grise. Elles oeuvraient aux cuisines, assuraient le ménage.
- Vêtues de noir, les tourières prononçaient une simple oblation. Elles assuraient le contact avec l’extérieur et faisaient les courses.
- Les Tertiaires du Cœur de Marie portaient sous leurs vêtements une tunique et une ceinture blanche, un cœur et une croix rouges. Elles surveillaient les petites filles et les travaux délicats de broderie.
A l’origine, les fillettes accueillies conservaient leurs habits. Peu à peu, les Religieuses imposèrent un code vestimentaire avec une robe grise et un béret.

Un lieu de labeur
Théoriquement, avant 13 ans, les fillettes devaient fréquenter l’école primaire installée dans les murs, puis elles se rendirent à Sainte Jeanne d’Arc sur décision gouvernementale. Nourries, logées, blanchies, parfois pensionnées, beaucoup d’entre-elles participaient aux frais de diverses manières. En 1889, le député Charles Beauquier dénonça la vente des cheveux des jeunes filles aux coiffeurs de la ville et l’emploi de fillettes lors de construction de la chapelle.
La majorité des pensionnaires de plus de 13 ans travaillèrent à la blanchisserie ouverte à la fin du 19e siècle. La petite buanderie avec une salle de repassage se transforma en une véritable entreprise qui fonctionna jusqu’en 1986 sous leur autorité, puis sous celle d’une association Loi 1901. Longtemps, les lingères lavèrent, rincèrent et essorèrent à mains nues, empesaient et repassaient. Puis des essoreuses et plieuses furent installées. La clientèle était diversifiée : Les Nouvelles Galeries, le sanatorium des Tilleroyes, l’hospice de Bellevaux, l’Ecole normale de filles, les lycées, les grands hôtels et des particuliers, d’où le courroux des lingères de la ville. Les filles brodaient, raccommodaient, cousaient, cuisinaient, entretenaient les lieux, lavaient, ciraient les sols et nettoyaient les fenêtres.
Ces activités se justifiaient par le besoin de leur apprendre un métier dans les arts ménagers, symboles du rôle de la femme ou de la mère.

Un lieu sous surveillance
Jusqu’au début du 20e siècle, les Religieuses furent les maîtresses absolues, puis cette petite entreprise employant gratuitement sa main d’œuvre fut soumise à la visite d’inspecteurs du travail. En 1908, la Supérieure fut mise en demeure de protéger la courroie de transmission de la plieuse et compléter la protection de deux engrenages. En 1920, l’Inspection du travail obligea le Refuge à mettre en place la semaine des 48 heures et interdit aux mineures de moins de 18 ans d’assurer le cardage de la laine.
En 1936, la loi des 40 heures inquiéta la Supérieure ! Des contrôles furent effectués par l’Assistance publique. Ces rapports (archives) démontrent une connivence entre l’Inspection, l’Archevêché et le Refuge. Tout semble parfait, les conclusions étant toujours positives et favorables. Personne ne s’interrogea sur les raisons de certaines évasions !
En 1934, l’Inspecteur nota que l’établissement était bien tenu avec des pensionnaires parfaitement traitées. Pourtant, en 1930, une « sous Inspectrice » de l’Assistance critiqua le Refuge. Avertie secrètement, la Supérieure informa l’Archevêque qui intervint auprès des autorités. L’inspectrice fut changée d’affectation. Les conditions de vie restèrent difficiles, surtout pour les pénitentes.
En 1965, le Refuge embaucha ses premières éducatrices laïques. Ces dernières découvrirent un monde injuste envers des mineures victimes d’une société encore effrayée par le féminin.

Un peu de changements !
A partir de 1947, un effort fut cependant fait pour le confort moral des pensionnaires avec la création d'un foyer de semi liberté pour 6 résidentes, leur permettant de travailler en ville et de rentrer le soir. En 1954, Sœur Marie de Saint Jean Eudes prit la direction. Consciente des changements de l’époque, elle ouvrit une section spéciale pour majeures relevant de l’aide médicale et une nouvelle section d’enseignement ménager.
Elle agrandit de 18 places le foyer de semi liberté. Les pensionnaires eurent le droit d’écouter de la musique, de danser entre elles, de rire, bref de vivre. Le 30 juin 1957, Melle Marchand, juge des enfants lui remit la médaille de l’éducation surveillée et Melle le docteur Guidevaux, directrice départementale de la santé, lui accrocha la Croix du Chevalier de l’Ordre de la santé publique. Dans l’esprit des bisontins et bisontines, le Refuge reste encore un lieu très mystérieux.
Texte écrit par Brigitte Rochelandet
Pour aller plus loin :
- Brigitte Rochelandet, Besançon au féminin. Histoire de la place des femmes dans la cité, Cêtre, 2019
- Brigitte Rochelandet, Destins de femmes en Franche-Comté XVIe-XVIIIe, Cêtre, 2005
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