Ce portail est conçu pour être utilisé sur les navigateurs Chrome, Firefox, Safari et Edge. Pour une expérience optimale, nous vous invitons à utiliser l'un de ces navigateurs.

 « A la loupe » (2023)   

Restaurer les œuvres, une mission essentielle des musées

Anonyme d’après Étienne-Maurice Falconet (1716-1791), Milon de Crotone, vers 1787, MBAA inv. 2011.0.87, © Besançon, MBAA / Nicolas Waltefaugle

La conservation-restauration des œuvres d’un musée de France est obligation réglementaire depuis la loi du 4 janvier 2002. « Conserver, restaurer, étudier et enrichir les collections » (art. 2 de la loi) sont les principes fondamentaux du musée. 

Dans son projet scientifique et culturel voté en 2017, le musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon affirme l’importance de la restauration comme « moment particulier dans la vie d’une œuvre au bénéfice de sa connaissance auprès du public et de sa diffusion. ». 

L’exposition La Grande Mademoiselle. Marie-Lucie Cornillot, une vie de musées, actuellement visible au musée de Besançon du 9 juin 2023 au 7 janvier 2024, et la précédente exposition, Le Beau Siècle. La vie artistique à Besançon de la Conquête à la Révolution (1674-1792), sont l’occasion de revenir sur cette étape importante de la vie d’une œuvre. 

Zoom sur les restaurations de sculptures. 

Préambule historique : de la dissection à la restauration

Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, X-529 - Source : gallica.bnf.fr

Depuis la Renaissance, l’admiration des artistes pour la sculpture antique est grandissante. La redécouverte de fragments enfouis, souvent altérés, incite les sculpteurs à restituer, retoucher des œuvres pour qu’elles correspondent à un état supposé originel, mais en réalité idéalisé. Cette pratique ancienne (depuis l’Antiquité) de réparation est connue, et définie par Antoine Furetière, lexicographe français, membre de l’Académie sous Louis XIV, dans son Dictionnaire universel de 1690. 

Voir sur Gallica

Francesco Righetti (1749-1819), Aloys Righetti, Laocoon et ses fils, XVIIIe siècle, bronze, marbre, 37,7 x 23,4 x 14,5 cm, Besançon, MBAA inv. D.863.3.30 © Besançon, MBAA / Pierre Guenat

La restauration la plus célèbre est celle du Laocoon, retrouvé en 1506 sur la colline de l’Esquilin à Rome. Ce groupe sculpté, restauré à plusieurs reprises, est décrit par Pline dans son Histoire naturelle. Devenu célèbre à l’échelle internationale, le Laocoon est copié au point d’être la statue la plus représentée dans les collections des bronzes royaux et dans les cabinets d’amateurs. 

Complétée une première fois par Baccio Bandinelli, cette restauration sera reprise par Montorsoli, élève de Michel-Ange, puis plus tard par François Girardon et Antonio Canova notamment. La découverte en 1903 d’un bras replié entouré d’un serpent par Ludwig Polak, confirmé comme celui du Laocoon, permet la dérestauration et la remise en place du bras original en 1957. 

À ce titre, le petit bronze conservé par le musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, réalisé par Francesco et Aloys Righetti au XVIIIe siècle, illustre l’histoire de la restauration de cette œuvre, dont on observe que le bras droit tendu du Laocoon correspond aux premières restaurations. 

Cette recherche passionnée d’objets anciens et l’apprentissage des sculpteurs sur la statuaire antique permettent le développement de mesures de conservation et de restauration, dont la déontologie se construira au fil des siècles. La notion de conservation liée à celle de patrimoine prend forme au moment de la Révolution française. 

Construction d’une déontologie

Le XIXe siècle voit s’opposer positions interventionnistes (Eugène Viollet-le-Duc) et non-interventionnistes (John Ruskin et William Morris), notamment dans le domaine de l’architecture. Les institutions se questionnent sur la meilleure démarche à adopter face à une œuvre dont l’état est préoccupant. Le musée du Louvre crée dès 1882 une commission consultative de restauration des peintures. Son objectif est de définir les principes qui doivent présider à la conservation-restauration d’une œuvre : qui intervient, avec quelle méthode et selon quelles conditions ? Des questions sous-jacentes surgissent alors : comment doivent être formés ces professionnels de la restauration, comment entretenir les œuvres au quotidien, quelle lisibilité donne-t-on aux interventions réalisées ?

Ainsi au XXe siècle, on note trois développements importants : un approfondissement théorique sur les principes de conservation-restauration, une internationalisation de la réflexion (conférence d’Athènes de 1931), le développement de la recherche appliquée à la conservation-restauration. En 1931, la France dote le musée du Louvre du Laboratoire de recherche des Musées de France, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF). 

Ces réflexions permettent la formalisation, dans les années 1960, des exigences fondamentales de la restauration dite moderne, définies par Cesare Brandi et Paul Philippot : stabilité, lisibilité, réversibilité et documentation. Elles seront inscrites définitivement dans le code de déontologie de l’ICOM en 2006 puis transcrites dans une circulaire de 2007 portant charte de déontologie des conservateurs du patrimoine et autres responsables scientifiques des musées de France (Article L.442-8 du Code du patrimoine).

« La restauration constitue le moment méthodologique de la reconnaissance de l’œuvre d’art dans sa consistance physique et sa double polarité esthétique et historique en vue de sa transmission au futur. » Cesare Brandi, Il restauro, teoria e pratica, 1963

C’est donc accompagné par des conservateurs-restaurateurs qualifiés et spécialisés dans chaque domaine de collection que le musée de Besançon continue ses efforts dans la pérennisation de campagnes de restauration, le plus souvent organisées en préparation des expositions temporaires. 

Les expositions, vecteur du soin des collections

Les recherches menées pour une exposition permettent bien souvent de s’intéresser à des œuvres jusqu’alors peu étudiées et qui parfois sont dans un état de conservation peu satisfaisant. Voici deux restaurations récentes réalisées dans le cadre des expositions Le Beau Siècle. La vie artistique à Besançon de la Conquête à la Révolution (1674-1792) (14 sculptures restaurées) et La Grande Mademoiselle. Marie-Lucie Cornillot, une vie de musées (3 sculptures restaurées).

Restaurer le plâtre 

Avant restauration : Anonyme d’après Étienne-Maurice Falconet (1716-1791), Milon de Crotone, vers 1787, plâtre, 53.5 x 52 x 62 cm, Besançon, MBAA inv. 2011.0.87 © Besançon, MBAA
Après restauration : Anonyme d’après Étienne-Maurice Falconet (1716-1791), Milon de Crotone, vers 1787, plâtre, 53.5 x 52 x 62 cm, Besançon, MBAA inv. 2011.0.87 © Besançon, MBAA / Nicolas Waltefaugle

Ce moulage en plâtre de l’œuvre d’Étienne-Maurice Falconet, Milon de Crotone, dont l’original en marbre datant de 1754 est conservé au musée du Louvre, devait très certainement appartenir à l’arsenal pédagogique mis à disposition des élèves de l’école de peinture et de sculpture de Besançon. Réalisé à partir d’un moule à bon creux par un élève vers 1787, ce plâtre, malgré ses proportions très bonnes, s’est révélé d’une qualité moyenne, à la lecture de ses altérations de surface. 

Athlète antique, Milon de Crotone fut dévoré par une bête sauvage après s’être coincé la main dans la fente d’un tronc d’arbre par vantardise. Ce sujet était difficilement compréhensible car l’œuvre était incomplète (jambes cassées, tronc de l’arbre très lacunaire), et il fallait envisager de reconstituer les parties manquantes. Ce type d’intervention autrefois courant est aujourd’hui strictement encadré par le code de déontologie des conservateurs-restaurateurs, qui permet la recréation de parties manquantes uniquement si elle est basée sur de la documentation vérifiée et certaine. 

Par ailleurs, l’intérêt pour les collections de moulages, héritées des anciennes écoles des Beaux-Arts, est très récent, comme en témoignent la réouverture du Musée des moulages de l’université de Montpellier en 2015, celle de l’université Lyon II en 2021 ou encore l’exposition Statues modèles consacrée aux collections universitaires et muséales d’Amiens en 2022. 

Alors qu’au musée des Beaux-Arts d’Amiens, un plâtre de l’œuvre de Falconet semblable à celui de Besançon a été maintenu dans son état lacunaire (seules les jambes sont incomplètes), il a été décidé, à Besançon, de restituer toutes les parties manquantes de l’œuvre, en raison du contexte bisontin particulier : le musée conservant moins de cinq moulages provenant de l’école des Beaux-Arts, le choix a été fait de considérer ce plâtre comme un unique, et de lui redonner la pleine compréhension du sujet iconographique, comme les élèves le découvraient autrefois. 

Les restauratrices ont ainsi procédé à un nettoyage de l’ensemble de la surface du plâtre, à la réintégration des éléments mis à disposition par l’atelier de moulage de la Réunion des musées nationaux (qui conserve le moule d’après l’original), puis ont réalisé des bouchages et retouches, permettant ainsi aux Bisontins de redécouvrir cette œuvre lors de l’exposition Le Beau Siècle.

Restaurer le bois 

Avant restauration : Henri-Paul Rey (Pesmes, 1904 – Malakoff, 1981), La Maternité, 1939, bois exotique, 106 x 63 x 66 cm, Besançon, MBAA inv. D.942.1.1 © Besançon, MBAA / Genovefa Le Bris Du Rest
Après restauration : Henri-Paul Rey (Pesmes, 1904 – Malakoff, 1981), La Maternité, 1939, bois exotique, 106 x 63 x 66 cm, Besançon, MBAA inv. D.942.1.1 © Besançon, MBAA / Genovefa Le Bris Du Rest

Déposée en 1941 par le Département du Doubs, cette œuvre témoigne de l’art contemporain à l’époque de la nomination de Marie-Lucie Cornillot comme conservatrice du musée de Besançon en 1946. Dans cette sculpture caractéristique de l’Art déco, Henri Rey recourt à une forme archaïsante, tout en sublimant l’image maternelle dans sa force et sa douceur. Influencé par l’art africain, il choisit de travailler un bois exotique, sur lequel il laisse visible les traces d’outils. 

Constituée d’un seul morceau de bois, cette Maternité illustre les problématiques de conservation du bois, matériau hygrophile (qui absorbe et relâche l’humidité de l’air), changeant ainsi de volume selon l’environnement dans lequel il se trouve. Les conséquences peuvent être désastreuses : apparition de fentes, arrachements, décollements… et la Maternité d’Henri Rey n’a pas échappé à ces mouvements inhérents au bois. 

Avant de commencer à tailler le bloc de bois pour réaliser son œuvre, le sculpteur doit le choisir avec soin. En effet, si celui-ci présente trop de nœuds, alors la taille sera plus difficile, le bois peut fissurer voire éclater. Concernant La Maternité, Henri Rey a dû faire face à un nœud important qui causa des fentes qu’il combla par lui-même. 

Restaurée une première fois en 1996, la Maternité a subi depuis des variations hygrométriques entraînant la poursuite de l’ouverture de certaines fentes. Le musée de Besançon a enclenché en 2023 une nouvelle restauration afin d’évaluer et surveiller l’évolution de ces mouvements d’une part, d’éviter l’entrée de poussières et d’insectes xylophages dans la cavité d’autre part. Les failles de bois, très visibles et gênant l’appréciation de l’œuvre, ont donc été comblées par les restauratrices. Leur travail peut être apprécié dans l’exposition La Grande Mademoiselle. Marie-Lucie Cornillot, une vie de musées, visible au musée jusqu’au 7 janvier 2024.

 Typhaine Ameil 

Retour vers la page « A la loupe » 

Retour vers la page d'accueil de Mémoire vive

Ce site utilise des cookies techniques nécessaires à son bon fonctionnement. Ils ne contiennent aucune donnée personnelle et sont exemptés de consentements (Article 82 de la loi Informatique et Libertés).

Vous pouvez consulter la politique de confidentialité sur le lien ci-dessous.