« A la loupe » (2022)
De Besançon à Hanoï. La collection Verjus-Joly au musée des Beaux-Arts et d’Archéologie.
En 1979, grâce aux libéralités du couple Paul et Renée Verjus-Joly, plus de 240 objets asiatiques et d’orfèvrerie française entrent dans les collections du musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon. Très attachés à leur ville natale, les collectionneurs ont eu très tôt l’intention d’offrir leur collection au musée. Peu connue, cette collection n’a jamais fait l’objet d’étude, ni de publication.
Constitué d’objets très divers, ce fonds est aussi riche d’archives ayant trait directement à la collection (photographies, factures, correspondance, etc.). Ces archives, conservées à la documentation du musée, ont fait l’objet d’un inventaire et d’un classement l’année dernière.
Parmi tous ces documents, la correspondance entre Renée Verjus et Denis Coutagne, alors conservateur au musée de Besançon, est une source d’informations précieuses pour dessiner une biographie des deux donateurs. À ces archives s’ajoutent quelques articles parus dans la presse indochinoise permettant de reconstituer la vie des Verjus-Joly au Tonkin.
DE BESANÇON À MARSEILLE
En 1907, Paul-Abel Verjus (Besançon, 1883 - Marseille, 1972) intègre l’École supérieure d’électricité à Paris dont il sort diplômé l’année suivante. Il s’installe alors à Marseille où il est engagé comme ingénieur au sein des Tramways de Marseille, filiale de la Compagnie générale française des tramways, qui met en place depuis le début du siècle l’électrification de son réseau, autrefois hippomobile.
Le jeune ingénieur entame donc son activité à une période charnière d’expansion et d’amélioration du réseau des lignes de tramway qui se développe considérablement au début du XXe siècle.
1927 – 1937, DIX ANS AU TONKIN

C’est dans ce contexte de progrès industriel et d’expansion coloniale que Paul est envoyé par sa société au Tonkin, province du nord du Vietnam sous protectorat français entre 1884 et 1945. Le 6 mai 1927, il embarque donc pour Hanoï à bord du Porthos avec Renée (Besançon, 1888 - Marseille, 1986) qu’il a épousée un mois plus tôt.
Dès son arrivée, il prend la direction de la Compagnie des Tramways du Tonkin, dont l’objectif est de remonter un réseau de tramway et de créer de nouvelles lignes. Durant les dix années qu’ils passent au Tonkin, les jeunes époux se constituent un réseau d’amis et de connaissances.
CONSTITUTION DE LA COLLECTION À HANOÏ : DIVERSITÉ ET FRÉQUENCE DES ACHATS
Dès leur arrivée à Hanoï, Paul et Renée commencent à acquérir des objets asiatiques. Les archives du musée comptent un ensemble de vingt-neuf factures à leur nom dont la première date d’août 1927 et la dernière du 1er avril 1937. Chaque année, le couple fait l’acquisition d’un certain nombre d’objets « avec l’approbation de Monsieur Crévost, grand-croix de la Légion d’honneur ayant fait la campagne Chine-Tonkin et conservateur du musée agricole et commercial d’Indochine à Hanoï. »
Le couple Verjus-Joly achète en majorité des pièces d’ameublement (paravents, fauteuils, armoires, tabourets et sellettes, vitrines, tapis, tentures et kakémonos, lanternes, panneaux décoratifs en laque, tissu, bois, etc.), des vases (en porcelaine, en quartz et en agate, en métal et en laque) et des pièces de vaisselle (porcelaines, céramiques diverses et pièces en argent). Mais dans les factures figurent également des brûle-parfums (en bronze, métal cloisonné, quartz rouge, jade et agate bleue), des statuettes (en ivoire, jade, porcelaine, marbre et en bronze), des armes et des bijoux en jade et en ambre. Parmi tous ces objets, Renée Verjus semble particulièrement attachée au paravent à huit feuilles, qui est pour elle, l’« orgueil de la collection ».
LES BOUTIQUES HANOÏENNES
Les vingt-neuf factures émanent de cinq marchands de Hanoï. Parmi ceux-ci se distingue le magasin La Perle chez qui les Verjus-Joly achètent beaucoup. Ce commerce était l’un des plus importants de la ville pour les Européens qui désiraient rapporter des objets asiatiques. Né à Montargis, Marcel-Alexis Passignat était le propriétaire du négoce et possédait une succursale à Saïgon. Il était spécialisé dans les antiquités chinoises et annamites.
Mah-jong, panneaux, broderies, meubles et paravents chinois, laques de Coromandel, brûle-parfums, bronzes, peintures sur soie, laques, jades, ivoires, kakemonos, porcelaines et autres curios constituaient le stock de La Perle, mais Monsieur Passignat vendait également des estampes européennes. Le marchand français se rendait régulièrement en Chine pour acquérir des objets et trouver des intermédiaires.
LE RETOUR EN FRANCE
L’année 1937 marque le retour des Verjus-Joly à Marseille où ils réinvestissent l’appartement que l’ingénieur avait occupé avant son départ. S’ils vivent dans la cité phocéenne jusqu’à leur décès, ils séjournent ponctuellement au château de la Croix de l’Orme qu’ils possèdent à Billy dans l’Allier. Renée Verjus y passe deux années pendant la seconde guerre mondiale alors que la demeure est occupée par les Allemands. À l’exception de ces quelques informations - livrées par Renée Verjus dans sa correspondance avec le musée de Besançon - nous n’avons que très peu d’éléments sur la vie des Verjus-Joly en France.
LA PÉRIODE MOUVEMENTÉE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Pendant la Seconde guerre mondiale, alors que Marseille est occupée par les Allemands, le couple décide de mettre ses collections à l’abri dans leur résidence secondaire. Paul est requis civil pendant le conflit. Renée, quant à elle, partage son quotidien au château avec un bataillon SS qui occupe les lieux. Dans l’une de ses lettres, elle indique avoir « vécu avec eux pendant deux ans refusant toujours de collaborer pour sauver notre collection. Hélas en vain ».
Elle est malgré tout contrainte de quitter les lieux juste avant l’été 1944, chassée par les Allemands qui incendient la demeure le 25 août après avoir exécuté plusieurs résistants. Les meubles français et une partie des objets extrême-orientaux disparaissent dans les flammes. Seuls les communs échappent à la destruction et avec eux, quelques pièces de la collection tel qu’un piano Pleyel.
APRÈS LA DISPARITION DE PAUL VERJUS
Après la mort de son époux, Renée Verjus partage son temps entre Toulon - où elle possède un « petit cabanon pour deux » - et Marseille. Sans descendance et attachée à sa ville natale, elle écrit au musée pour offrir la collection qu’elle avait constituée avec son époux, ainsi qu’ils l’avaient convenu. Dans l’une de ses lettres adressées à Denis Coutagne, Renée Verjus dévoile leurs intentions : « De notre séjour nous avons réalisé une belle collection d’objets chinois, laquelle devait être remise en don au musée de Besançon à notre mort n’ayant pas d’enfant ». Elle décède à Marseille le 6 janvier 1986. Toute sa vie, Renée aura conservé la maison de son enfance à la Grette, la villa Iris.
PREMIERS CONTACTS AVEC LE MUSÉE

C’est le 19 février 1979 que Renée Verjus contacte pour la première fois le musée. Pendant plus de deux ans, elle entretient des échanges réguliers avec Denis Coutagne et Georges Barbier, respectivement conservateur et bibliothécaire au musée. Elle exprime à plusieurs reprises sa volonté de conserver l’entièreté de la collection qu’elle qualifie « d’unique » dans son intention. Dans une de ses lettres, Renée explique être attachée à l’appellation « Verjus-Joly » associant le nom de famille de son époux et son nom de jeune fille, « tous deux originaires de Besançon ».
Si Renée Verjus ne se manifeste qu’à la fin des années 1970, le souhait des époux semble être antérieur puisque dans sa correspondance, la donatrice évoque le « mobilier de France » destiné au musée, détruit lors de l’incendie du château. Sentant sa santé décliner, elle souhaite que la procédure soit rapide. Elle confirme d’ailleurs son vœu au début de l’année 1980 en demandant un transfert prompt des objets, craignant pour la sécurité des œuvres puisqu’elle vient de subir plusieurs cambriolages.
LE DON

Le 22 mars 1979, le Conseil municipal de la Ville accepte le don Verjus-Joly. Un brouillon de lettre de remerciements destinée à Mme Verjus indique que la Ville souhaite créer un musée qui retracerait les histoires des Francs-Comtois expatriés dans les colonies.
Le musée procède à trois transferts successifs de la collection en avril 1979, au printemps 1980 et enfin au début du mois de mai 1980. À ce don s’ajoute un ensemble de montres françaises offert au musée du Temps en 1979 et un violon destiné au Conservatoire.
LA COLLECTION

Le récolement effectué lors de la première campagne décennale fait état de deux cent quarante-quatre numéros (objets et socles) au musée des Beaux-Arts et d’Archéologie et onze objets au musée du Temps. Parmi les nombreuses pièces données par le couple de collectionneurs, mentionnons le paravent à huit feuilles en bois et incrustations de pierres dures, l’ensemble de brûle-parfums de divers matériaux ou encore les rouleaux de peintures sur soie qui comptent une ou deux pièces signées.
Enfin, loin de conserver uniquement des pièces extrême-orientales, la collection Verjus-Joly renferme également des pièces d’orfèvrerie française, témoignant du goût du couple pour le savoir-faire national et un certain art de vivre.
Lisa Mucciarelli
Retour vers la page « A la loupe »
Retour vers la page d'accueil de Mémoire vive