« A la loupe » (2016)
La "comtoise"
Sous ce nom familier se cache l’une des plus populaires horloges françaises.
Originaire du Haut-Jura, la « comtoise » a meublé les maisons de toute la France et même au-delà. Preuve de son succès, on utilise encore couramment le terme de « comtoise » pour désigner toute horloge de parquet.
La comtoise correspond cependant à un type d’horloge très spécifique, fabriqué depuis la fin du XVIIe siècle dans la région de Morbier et Morez.

C'est avant tout le mouvement, ou mécanisme, qui permet de reconnaître une horloge comtoise.
Invention des frères Mayet de Morbier à la fin du XVIIe siècle, ce mouvement, appelé « cage fer », comporte deux rouages indépendants pour les heures et la sonnerie, placés dans une cage en fer (fig 1).

C’est dans la région du Haut-Jura que sont produites les comtoises durant plus de deux siècles, grâce à des conditions propices à leur fabrication : du métal et des forges, du bois pour les fours, des paysans- horlogers pour la main d’œuvre. Il existe néanmoins quelques productions marginales de comtoises en dehors du Haut-Jura, comme en Haute-Saône (fig 2).

La simplicité, la robustesse et la fiabilité caractérisent le mouvement « cage fer », resté presqu’inchangé depuis son origine.
Outre ses caractéristiques techniques, le mouvement de la comtoise se reconnaît également à son décor. Le cadran en émail fait son apparition au milieu du XVIIIe siècle et sa production devient ensuite l’une des spécialités de Morez (fig 3).
Mais ce sont les frontons qui apparaissent comme l’un des éléments les plus spécifiques de la comtoise. Situés au-dessus du cadran, ils offrent une iconographie riche et qui évolue au gré de l’histoire politique de la France et du goût du jour (fig 4, fig 5).


Les premières comtoises étaient accrochées directement au mur.
Au 18e siècle, le mouvement est installé dans une caisse en bois afin de le mettre à l’abri de la poussière et de protéger le balancier.
Cette caisse est alors droite et sobre, sans ouverture (fig6).
Le balancier, petite masse de plomb suspendue à une chaîne d’arpenteur, est fixé à l’arrière du mouvement (fig 7).


Au début du 19e siècle, le balancier passe devant les poids et prend de l’ampleur. Muni d’une lentille d’une dizaine de centimètres de diamètre, il est désormais visible à travers une ouverture vitrée aménagée dans la porte (fig 8).
La forme de la caisse s’adapte à la largeur du balancier. Pourvue d’un galbe élégant, elle adopte la forme si caractéristique de l’horloge comtoise, dite « violonée ». Au cours du siècle, le balancier s’élargit et s’enrichit d’éléments décoratifs. (fig 9)



Fabriquées dans le Haut-Jura et en Franche-Comté plus généralement, les caisses sont décorées à la main. Le peintre recouvre la boîte d’un badigeon sombre composé de brou de noix ou de sang de bœuf. Puis, il trace au pinceau ou au pouce des motifs imitant les veines et les nœuds d’un bois noble comme le noyer, l’acajou ou le chêne. Les couleurs sont appliquées une fois que le badigeon est sec (fig 10).
Au XIXe siècle, les régulateurs apparaissent. Ils sont munis d’une aiguille des secondes au centre (fig 11) et installés généralement dans des caisses droites assez larges pour accueillir un balancier à gril.(fig 12)


Dès la fin du XIXe siècle, la comtoise est détrônée par les pendules murales et notamment les carillons. Sa production s’arrête totalement à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Au cours de la seconde moitié du 20e siècle, elle tombe progressivement en désuétude mais revient au goût du jour au début des années 1970. A cette époque, plusieurs manufactures se lancent dans la production de comtoises : SERAMM à Châtillon-le-Duc, les établissements Romanet à Morbier et la société ODO à Morez notamment. La comtoise fait sa réapparition dans les catalogues de fabricants, distributeurs en horlogerie ou marchands de meubles. Mais après une nouvelle baisse de la demande à la fin des années 1980, ces établissements disparaissent progressivement. En 2016, seules deux entreprises poursuivent la production de comtoises, toutes deux installées à Besançon et dans sa périphérie.

Si les montres, horloges et sabliers nous rappellent la fuite inexorable du Temps, la comtoise et l’horloge de parquet en général, portent une dimension symbolique propre. Sa position debout, sa stature à peine supérieure à la taille humaine et sa « morphologie » la distinguent des autres horloges d’intérieur. On parle de sa tête, de son corps, de ses pieds et de son cœur qui bat, représenté par le balancier. Personnage rassurant et protecteur, qui veille sur la famille du haut de son grand corps, elle marque la continuité du temps qui passe, une permanence et une filiation entre les générations. Parallèlement, l’horloge peut représenter une présence imposante et menaçante, marquant imperturbablement les heures qui passent. Certaines amplifient même ce sentiment par leur stature impressionnante ou leur forme évoquant un cercueil. (fig 13, fig 14)

La littérature, la musique, le cinéma et l’opéra ne manquent pas d’exemples qui illustrent les différents aspects symboliques de l’horloge, porteurs de l’ambivalence permanente de cet objet si familier.
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