« A la loupe » (2022)
Birds of America
Ce livre d’Audubon représente tous les oiseaux d’Amérique du Nord, en grandeur réelle et en couleur (1827-1838).
La planche sur la grue d’Amérique est emblématique car c’est sans doute le plus grand oiseau représenté. Cette espèce en voie d’extinction est actuellement protégée dans des réserves.
Parcourons avec Audubon ces vastes territoires encore sauvages au début du XIXe siècle.
Au Sud, en Louisiane, le héron bleu est représenté en mouvement et dans son milieu naturel.
A l’Est, les faucons pèlerins déploient leurs ailes de tous côtés et nous fixent avec une intensité qui nous met presque mal à l’aise. Ces rapaces de 800 g sont capables de chasser des canards qui font 2 à 3 fois leur poids.
Audubon travaille d’après des dépouilles d’oiseaux fixées sur des armatures en métal, pour parvenir à une pose la plus vivante possible. En cela, il innove par rapport aux naturalistes de l’époque, comme son rival Alexandre Wilson par exemple.
A l’Ouest, l’aigle royal est hiératique, un peu enfermé dans le format de la page (pourtant 1 mètre sur 75 cm, format « double folio éléphant »).
Au Nord, la sterne arctique plonge à toute vitesse dans l’océan.
Le cormoran niche dans les rochers avec ses petits ; on croit entendre pépier les oisillons tandis que le père monte la garde.

La blancheur du pélican et le jaune clair de son énorme bec ressortent parfaitement sur le fond sombre.
L’effet de lumière est très théâtral : ce genre de livre vise autant un public d’amateurs d’art que de scientifiques.

Les perruches de Caroline font partie des espèces disparues aujourd’hui, à cause de l’action de l’homme (chasse, déforestation, cultures). Malheureusement, lorsque certaines étaient abattues, leur instinct grégaire les poussait à rester groupées autour d'elles, sans défense, au lieu de s’enfuir.
Amateurs de maïs, ces oiseaux ont été décimés en 50 ans par les paysans qui voulaient protéger leurs cultures de ces « nuisibles ». C’était pourtant un perroquet très résistant, qui supportait même la neige.
L’aigrette neigeuse est devenue l’emblème de la National Audubon Society (USA, 1905), l’équivalent de la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) en France.
Elle était chassée pour sa belle aigrette blanche employée en chapellerie ; par malheur cette plume poussait au moment de la nidification, ce qui a mis l’espèce en péril. Elle a failli disparaître.
Audubon a vécu la transformation très rapide des Etats-Unis avec la colonisation européenne : 5 millions d’habitants en 1800, 10 millions en 1820 et 17 millions en 1840. Il a connu aussi la déportation des Indiens à l’Ouest du Mississipi par le président Jackson (la « piste des larmes »).

Le pic à bec d’ivoire (de la famille « woodpecker ») est devenu légendaire au début du XXe siècle car il est réapparu brièvement avant de disparaître définitivement.
Son bec était utilisé dans les parures de chefs indiens, mais il était pour cette raison même protégé par les Indiens (cet aspect est abordé dans le film « Birds of America » sorti en 2020).
Audubon avait recours à des guides indiens pour localiser les espèces les plus rares ou les plus sauvages.
Le macareux est l’emblème de la Ligue de Protection des Oiseaux.
L’eider était chassé pour son plumage qui servait à remplir les édredons (plumes moelleuses, légères et très chaudes).
Le pigeon migrateur a totalement disparu alors que sa population se chiffrait en millions à l’époque du livre.
Dans le volume de texte associé aux gravures, Audubon raconte que ces oiseaux formaient des nuages gigantesques et que leur passage pendant les migrations pouvait durer plusieurs heures (Ornithological biographies).

La vie d’Audubon est un véritable roman : né français en 1785 dans l’actuelle Haïti, il grandit à Nantes et se passionne pour l’ornithologie, encouragé par son parrain Charles d’Orbigny.
En 1803, il se réfugie aux Etats-Unis pour fuir les guerres napoléoniennes. Il est naturalisé américain en 1808. Il vit comme un trappeur et explore les territoires indiens (la « Frontière ») pour son projet sur les oiseaux d’Amérique.
Il décide d’y consacrer sa vie : « Le Nouveau monde m’a rendu libre, il m’a donné la vie ».
A partir de 1827, il réussit à faire éditer ce livre monumental en Angleterre grâce à l’appui de nombreux souscripteurs : son personnage de trappeur aux cheveux longs et aux mocassins en cuir a eu beaucoup de succès auprès de la bonne société.
Le livre comporte 435 gravures parues entre 1827 et 1838 ; c’est un véritable chef d’œuvre des sciences naturelles, publié en 200 exemplaires.

Aujourd’hui, c’est le livre le plus cher au monde, dont on connaît 119 exemplaires complets, la plupart localisés en Amérique.
En France, on n’en conserve que quatre exemplaires : trois à Paris, un à Besançon. Notre exemplaire a été acheté par le Ministère de l’Intérieur de l’époque pour bénéficier à une bibliothèque de province : Besançon a sans doute été choisie pour sa bibliothèque toute neuve (1818), son catalogue publié parmi les premiers en France, et sans doute aussi parce que le bibliothécaire Charles Weiss était ami de Charles Nodier et Georges Cuvier, deux Francs-comtois influents à Paris.
Les couleurs sont extraordinairement bien conservées.
Les gravures sont imprimées en teinte directe, par zones sur la planche de cuivre, afin d’obtenir la couleur la plus fidèle possible aux dessins originaux d’Audubon. Elles sont ensuite retouchées à la main ; environ 35 personnes étaient impliquées dans le processus de fabrication.
Les planches en cuivre n’ont pas été conservées ; les dessins aquarellés ont été donnés à la New York Historical Society.
Anne Mougey
Voir les planches de notre exemplaire des Oiseaux d’Amérique (sélection)
Voir les 435 gravures d'Audubon sur le site de la Bibliothèque numérique de l'Université de Pittsburgh
Découvrir les gravures par espèce sur audubon.org
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