« A la loupe » (2020)
Grottes et cavernes : un patrimoine naturel et culturel universel (2)
Voici la deuxième partie de l'article sur les grottes, cette fois-ci considérées comme sources d'inspiration artistique au fil des siècles.
2. Grottes artificielles

2.1 Naples : La Crypta Neapolitana
La Crypta neapolitana (ou Grotta di Posillipo) est un ouvrage d’art souterrain lié à une voie de communication entre Naples et la région volcanique des champs Phlégréens. Construite au début de l'Empire romain, ses dimensions sont gigantesques : elle mesure 705 mètres de long sur 4,5 mètres de large et 5 m de haut.
Selon Pétrone, elle était au Ier siècle consacrée à Priape, le dieu de la fertilité, en l'honneur duquel la nuit se célébraient des cérémonies mystérieuses et des rites orgiaques. Sous la domination espagnole, il fut trouvé un bas-relief de Mithra tauroctone du IIIe siècle.
Très vite, aux rites du culte de Mithra se sont substitués les rites liés au christianisme. Au XIVe siècle, les archives de la maison d’Anjou (qui règne sur le royaume de Naples), ainsi que les témoignages de Pétrarque, relatent le culte de la Madonna Odigitria dont l'icône est encore conservée.

De plus, la galerie étant orientée est-ouest, à la période des équinoxes, les rayons du soleil couchant la traversent de part en part. Ce phénomène augmentait le caractère mystérieux du tunnel, de telle sorte, racontait-on, que la malédiction s'abattrait sur toute personne qui tenterait sa traversée seule de nuit.
À cette croyance s'ajouta la tradition médiévale selon laquelle la crypta aurait été créée magiquement d'un seul geste de Virgile.
Goethe en témoigne : « Ce soir, nous nous sommes rendus à la grotte de Posillipo au moment où le soleil, se couchant, passe avec ses rayons jusqu'à la partie opposée. J'ai pardonné à tous ceux qui perdent la tête pour cette ville. » (Voyage en Italie, note du 27 février 1787).

2.2 Grottes rocailleuses de la Renaissance
Phénomène culturel remarquable : à partir de la Renaissance la grotte redevient un artifice, un élément décoratif des jardins (ce fut déjà le cas dans l’Antiquité).
En 1614 le prince-électeur du Palatinat, Frédéric V, confie à Salomon de Caus la construction des bâtiments nouveaux qu’il se proposait d’ajouter à son palais de Heidelberg. C’est sur une sorte de fourré sauvage, le Friesenberg, « montagne inculte hérissée de rochers nus et creusée de profonds ravins » que furent élevés « de beaux jardins tout remplis d’ombre et de fraîcheur, ornés de maisons de plaisance, décorés d’arcs de triomphe et de portiques, égayés de fontaines jaillissantes et de grottes rocailleuses » (Louis Figuier. Les merveilles de la science, 1867).

Dans son ouvrage Raisons des forces mouvantes avec diverses machines tant utilles que plaisantes aus quelles sont adjoints plusieurs desseings de grotes et fontaines, publié en 1624, Salomon de Caus consacre une partie à l’exposition des moyens à employer pour, entre autres, construire des grottes artificielles.
Pour le XVIIe siècle toujours, il faut citer un ouvrage dont le titre est tout un monde : Le monde sousterrain ou description historique et philosophique de tous les plus beaux antres et de toutes les plus rares grottes de la terre: voûtes, trous, caves, retraites cachées et tanières secrètes de divers animaux et peuples inconnus ; abysmes, fondrières et ouvertures merveilleuses de montagnes ; fosses mémorables et minières célèbres de toutes sortes ; villes sousterreines ; cryptes ; catacombes ; temples taillez dans le roc; puits et fontaines prodigieuses; souspentes de roche ; cisternes et bains creux et généralement de toutes les cavernes, spélunques, et cavitez les plus renommées du monde, et de tout ce qu'elles ont de plus curieux. Il est dommage que le manuscrit de l’auteur se soit perdu ! Il n’en reste qu’un prospectus d’imprimerie de 7 p. (de 1654) dans lequel Jacques Gaffarel décrit par le menu son livre encyclopédique.

2.3 Grottes en musique : la grotte de Thétis à Versailles
La Grotte de Versailles est une églogue en musique représentée à la cour de Louis XIV en 1668. Lully s’inspire de la grotte de Thétis, construite en 1666, sur le côté nord du château et détruite en 1684 lors de la construction de l’aile nord. L’Églogue fut reprise : le 11 juillet 1674, dans le cadre des Divertissements de Versailles, fêtes données durant six journées des mois de juillet et août 1674, pour fêter la conquête de la Franche-Comté.

2.4 Un architecte à l’oeuvre : Pierre-Adrien Pâris
Plusieurs dessins de l’architecte Pierre-Adrien Pâris (1745-1819) illustrent la place de la grotte comme élément architectural décoratif au XVIIIe siècle. Ainsi le célèbre palais Pitti à Florence, et ses grottes avec de fausses stalactites, et de fausses concrétions, le tout recouvert de lierre et de mousse.

Outre les palais et demeures de l’aristocratie, au XVIIIe siècle le théâtre et l’opéra sont de grands « consommateurs » de grottes. Plusieurs des dessins de P. A. Pâris donnent à voir ce type de décor, parfois restés à l’état de projet, comme ici pour un Prométhée enchaîné.

Autre exemple du travail de Pierre-Adrien Pâris : cette Grotte merveilleuse, esquissée pour l'opéra Nadire en 1790.
3. Grottes imaginaires

3.1 Imaginer les Enfers
Les grottes sont dans de nombreuses religions la porte d’accès aux Enfers. L’imaginaire chrétien cultive lui aussi cette image. Le Musée de Besançon conserve un tableau fascinant du peintre Monsu Desiderio, Les Enfers, de 1622, dont une partie est « réservée aux grottes des Enfers ». On y découvre « une profonde perspective de cavernes, des voûtes multipliées, un porche énorme et noir qui s’ouvre sur le feu, les flammes des cratères, toutes les affres des châtiments » (P. Seghers. Monsu Desiderio ou le théâtre du monde, 1981).

3.2 Grottes de la mythologie gréco-romaine
Dans l’Antiquité les grottes sont vénérées comme habitat des divinités et des nymphes. Grecs et Romains s’accordaient sur le fait que toute anfractuosité ou caverne insondable devait mener aux Enfers. Nombre de héros, divinités ou monstres sont venus au monde dans une grotte, ou s’y sont mis à l’abri de vengeances (Zeus, Dionysos, Hermès, etc.).
Au pays des Lotophages le cyclope Polyphème vit dans une grotte. C’est là qu’il retient prisonniers Ulysse et ses compagnons venus reconstituer leurs forces. Cet épisode apparaît dans le neuvième chant de l’Odyssée.
Faisant partie d'une série de peintures et de dessins réalisés par Christoffer Wilhelm Eckersberg (1783-1853) pour illustrer des épisodes de l'Odyssée, ce tableau, bien que travail d’étudiant, démontre les talents de l'artiste pour la perspective, l'observation aiguë de la nature et le traitement nuancé de la lumière.

3.3 La grotte, motif littéraire
Contes, légendes, littérature enfantine regorgent de récits mettant en scène grottes et cavernes. De l’emblématique Ali Baba et les Quarante voleurs à bien des aventures du Club des Cinq.
Exemple classique ici dans le cas de la fable de La Fontaine Le Satyre et le passant : la grotte y est la maison d’un satyre. Ernest Hillemacher en donne une représentation en 1850. Les premières représentations figurées de personnages ressemblant à des satyres datent du Magdalénien et se trouvent sur les parois de la grotte de l'Addaura (Sicile).

3.4 Grottes et scènes religieuses
Les représentations religieuses de grottes sont légion (selon la tradition chrétienne, l’étable de la nativité de Jésus se situe dans une grotte ; Bernadette Soubirou a aperçu la Vierge dans la grotte de Lourdes ; La tradition musulmane évoque la figure du prophète Mahomet faisant de longues retraites dans les cavernes du Mont Hira).
C’est dans une grotte que le Nouveau Testament situe Madeleine, purgeant trente ans de solitude. Cette figure de la sainte au désert, cheveux épars et vêtements déchirés, peuple des dizaines de variations picturales. Jean Gigoux la représente en 1839 (Madeleine pénitente. Musée de Besançon). Madeleine est encore pécheresse : son corps est alangui dans une grotte, à demi nu. Mais les attributs du repentir sont présents : un crâne, un livre (une Bible).

Une autre scène biblique souvent représentée par les peintres (tirée de l’Ancien Testament) est celle de Loth et de ses filles réfugiés dans une grotte après la destruction de Sodome et Gomorrhe. C’est là que Loth est enivré par son aînée et s’unit à ses deux filles.
Pour aller plus loin :
Mosser, Monique ; Brunon, Hervé. L'imaginaire des grottes dans les jardins européens, Paris : Hazan, 2014.
Fournier, Eugène. Explorations souterraines en Franche-Comté. Grottes et rivières souterraines, Lons-le-Saunier : Arts et littérature, 2003.
Ludovic CARREZ
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