« A la loupe » (2012)
Le conseil municipal date de 1290
Les délibérations municipales de Besançon sont parmi les plus anciennes en France. La série est quasi complète de 1290 à nos jours, ce qui est très rare voire unique en France : 364 registres, dont celui qui vous est présenté est le tout premier. Il comporte 184 feuillets papier, avec une reliure en bois recouvert de veau ciselé (technique espagnole ou italienne), ornée sur chaque plat de cinq cabochons de cuivre.

La Ville de Besançon est l’une des rares qui aient eu la bonne fortune de conserver la plus grande partie de ses anciennes archives municipales. L'antique Vesontio, depuis son érection en commune en 1290, a su maintenir presque intactes ses libertés jusqu'à la conquête française de 1674. La Ville a toujours eu le souci de mettre en lieu sûr les titres qui constataient les franchises et les privilèges dont elle était si fière, en témoignent le spectaculaire coffre du XVIe s. et un non moins spectaculaire meuble à layettes du XVIIIe s.

Le premier registre de délibérations municipales couvre une période allant de 1290 à 1320. Le fait que les pages de ce registre soient en papier, à une époque où le parchemin est roi et où il n’y a de papeterie ni en France, ni en Franche-Comté, n’est pas un hasard. En effet, la commune de Besançon étant née d’une lutte acharnée entre ses habitants et l’archevêque de Besançon et le parchemin étant le support des actes archiépiscopaux, les premiers édiles de la nouvelle cité de Besançon lui préférèrent le papier acheté à grands frais en Espagne afin de marquer une première rupture avec l’ancien pouvoir tutélaire. La seconde rupture est marquée par l’utilisation de la langue française en lieu et place du latin, langue de l’Eglise s’il en était. Ce registre est donc le symbole même de l’émancipation de Besançon vis à vis de son ancien maître.
Voici les premiers mots de ce registre : « L'ant qui corroit par M. IIc et IIIIxx et neuf anz, le mecredi après la Chandelousse, et fui encomanciez cest paipiers et fui estaubliz Amiez de Chois à Pardesuis de ces de Besençon, et davoit durer ses povoirs dès le jor desuis dit jusques es Bordes de l’ant corrant par M.IIcc.IIIIxx X »

La première page de ce registre contient un passage de l’évangile selon Saint-Jean, c’est sur cette page que désormais tous les officiers et employés municipaux allaient prêter serment : « In principio erat verbum... » (Au commencement était le Verbe). Saint-Jean l’Evangéliste étant le patron de l’église cathédrale de la ville, les citoyens afin de se démarquer de leur ancien maître, lui préférèrent Saint-Jean-Baptiste, patron d’une des plus anciennes églises paroissiales de la ville pour commencer l’année politique. Jusqu’au XVIIe s., le 24 juin est la date des élections et de début de nombreux registres de délibérations et de comptes.

Quant au contenu de ce registre, ce ne sont pas à proprement parler des délibérations. On y trouve surtout consigné tous les textes que le corps de ville trouvait important de coucher sur le papier afin d’en garder la mémoire. A commencer par la coutume de la ville. En revanche il contient peu de textes concernant l’organisation politique de la cité. Celle-ci semble assez floue à ses débuts. La charte de franchise laisse beaucoup de liberté en ce domaine, elle ne fixe ni le mode, ni la périodicité des élections, pas plus qu’elle n’indique le nombre des responsables.

Précisons que les dirigeants de la commune étaient aussi chargés de sa défense, en effet l’empereur leur en avait confié les clés dès 1290. On trouve donc dans ce registre des textes relatifs à la défense de la ville, car l’archevêque n’ayant que très difficilement accepté les franchises, il a longtemps constitué une menace militaire.

Grâce au registre on peut suivre l’affaire la plus importante de cette époque : l’affaire de Rognon. L’archevêque n’admettant que difficilement l’existence de la commune, dès 1291, il se considéra en guerre contre elle. D’ailleurs pour marquer son autorité, il décida contre les termes de la charte de faire construire une forteresse sur le mont Rognon actuel Rosemont. La commune réagit très vite à cette atteinte à sa nouvelle autorité sur la ville, et renouvela son alliance avec le comte de Bourgogne pour contrer l’archevêque. Et en juillet 1291, les citoyens et leurs alliés donnèrent l’assaut, rasèrent la nouvelle forteresse et firent de nombreux prisonniers, dont le registre contient la liste. Néanmoins l’archevêque ne s’avoua pas vaincu et il fallut attendre 1293 pour qu’un accord soit signé.

Vente des écorces de chênes d'une partie de la forêt de Chailluz (17 juin 1309)
Quant aux affaires financières, ce sont celles qui tiennent le plus de place dans ce premier registre. Il n’y pas de budget organisé, comme dans toutes les communes à cette époque, on se procure des ressources en fonction des dépenses. En ce temps là, les dépenses étaient surtout militaires. Parmi les revenus figurent les droits perçus sur les marchandises et les personnes entrant dans la cité, mais aussi le revenu provenant de la vente du bois de la forêt de Chailluz.

Les impositions proprement dites ne sont pas régulières, on en signale en 1290, 1291, 1298 et 1304. Les nobles et les ecclésiastiques en étaient exemptés. La répartition se faisait topographiquement par bannière et sur les signes extérieurs de richesse des citoyens. A cette époque était considéré comme citoyen un homme majeur libre, habitant la cité, chef de foyer et payant l’impôt. Pour les nouveaux arrivants, les édiles décidaient qui pouvait devenir citoyen ou non, le registre contient des listes d’invididus admis à faire partie de cette catégorie d’habitants qui avaient le droit de désigner ses représentants.

Dans ce registre nous pouvons aussi trouver des textes à caractère réglementaire, concernant entre autres l’alimentation : défense de vendre de la chair de bœuf ailleurs que sur les bancs de la halle publique, règlement concernant la vente du pain, des poissons, du bois, du charbon. La forêt et le bois ne sont pas en reste, puisque l’on peut trouver une réglementation des droits d'usage des habitants de Besançon sur la forêt de Chailluz, source précieuse de combustible et de matériaux de construction. La vigne et le vin ont aussi leur place dans le registre à travers notamment un règlement concernant la culture des vignes.
Ce premier registre de délibération peut à juste titre être considéré comme la mémoire de la ville pour la fin du XIIIe et le début du XIVe s., et c’est donc un des trésors des archives municipales de Besançon.
Bibliographie : Histoire de Besançon. 1, Des origines à la fin du XVIe siècle / publiée sous la direction de Claude Fohlen,... Besançon : Cêtre, 1981, 1 vol. (692 p.) : ill., couv. ill ; 24 cm – Ouvrage disponible dans plusieurs bibliothèques du réseau.