« A la loupe » (2023)
Le suaire de Besançon
Chaque ville a sa relique. Celle de Besançon est un suaire ou plutôt un linceul du Christ comme celui de Turin. Le linceul conservé à Turin a traversé en effet la France, de Lirey à la Savoie, en passant par Saint Hippolyte dans le Doubs, où la relique est conservée entre 1418 et 1452. Mais le suaire de Turin est probablement copié vers 1520 dans un contexte où les copies du Suaire de Chambéry se multiplient : on documente une dizaine de copies dans les années 1516-1540 » (d’après N. Sarzeaud). Il est attesté à Besançon à partir de 1523.
Les mises aux tombeaux de Chaource ou la Déploration sur le Christ mort de Bronzino montrent l’intérêt pour cet épisode de la mort du Christ à la Renaissance.
Il était courant au Moyen Âge de jouer le mystère de la Passion, pendant les fêtes pascales. Un drap blanc était exposé pour signifier le mystère de la Résurrection. Comment ce drap blanc utilisé pour une pièce de théâtre est-il devenu un drap peint, conservé comme une relique sainte ?
Trois textes évoquent le suaire à Besançon.
François d'Orival, archidiacre de Luxeuil et chanoine de la cathédrale, est l’auteur au XVIIe siècle d'une histoire manuscrite du saint Suaire bisontin, conservée aux archives départementales du Doubs.
Jean Jacques Chiflet écrit une Hiérothonie (apparition divine) de Jésus Christ ou Discours des saints suaires. Comme d’Orival, il justifie la présence de cette relique dans la ville et raconte sa légende.
Un chanoine de Besançon a accompagné l’archevêque Hugues IV en Croisade et a ramené la précieuse relique (p. 38). Il est notoire que le suaire est incombustible (p. 27) comme le bois de la croix. Chifflet se perd en conjoncture sur la taille du tissu, 8 pieds de long (p. 30). Il explique comment la cathédrale a brulé en 1349 (p. 34) et date la monstration du suaire dès l’an 1100, à la fin des croisades (p. 40). Tout ce récit permet de justifier le caractère sacré de la relique.
Une troisième dissertation sur le saint Suaire est écrite en 1714. Ce texte anonyme est probablement écrit par Pierre-Joseph Dunod, selon A. Nicolotti. Il en existe au moins deux versions identiques. Le Ms 826 et le Ms Z 432.
Ce jésuite archéologue répond à Adrien Baillet qui a écrit ses doutes sur la véracité des suaires conservés en France dans Les vies des saints avec l'histoire des fêtes mobiles (BM 7336).

Le suaire est conservé dans un coffre à la cathédrale et il est présenté en ostention pendant l’Ascension. D’abord à Saint Etienne entre 1523 et 1669, puis à Saint Jean.
Les pèlerins affluent alors en ville et achètent des souvenirs. Tout au long de l’époque moderne, différentes images circulent, des estampes ou des broderies qui présentent l’image du « Béni saint suaire » pour développer sa notoriété. Les pèlerins achètent ces représentations en souvenir de leur pèlerinage et pour se protéger « de la famine, de la guerre, de la peste ».
Cette multiplication de l’image est aussi une réaction aux voisins protestants iconoclastes.
En 1729, le clocher de la cathédrale Saint Jean s’effondre. Une nouvelle chapelle somptueuse est construite dédiée à la relique.
C’est pourtant la fin de cette histoire :

Pendant la Révolution française, des commissaires réclament à voir le suaire. La découverte d’un poncif, modèle pour repeindre le drap, sème le doute et conduit à la destruction des objets.
Au 19e siècle, une confrérie du suaire continue malgré sa destruction de prier et de commémorer cette relique.
Bérénice Hartwig
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