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« A la loupe » (2025)

Les MNR du musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon

Gustave Courbet (1819-1877), Les braconniers dans la neige, huile sur toile, 65.2 x 81.5 cm, D. 953.1.4, MNR 176

Les spoliations de biens culturels perpétrées par les nazis et les autorités de Vichy sont une des composantes des crimes commis envers les Juifs lors du second conflit mondial. Les biens culturels ne sont qu’une petite partie d’un programme de vol, de pillage et de destruction plus global, les criminels nazis pillant l’intégralité des demeures spoliées de fond en comble : au-delà des biens culturels, le linge, la vaisselle et autres objets du quotidien comme les livres sont volés de manière systématique (on estime à 5 millions le nombre de livres spoliés uniquement en France, soit cinquante fois plus que les œuvres d’art).

Des institutions de recherche ont récemment été créées, comme la Mission de Recherche et de Restitution des Biens Spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS). Elle est rattachée au secrétariat général du Ministère de la Culture et travaille en liens étroits avec la Commission pour la restitution des biens et l’Indemnisation des victimes de spoliation antisémites (CIVS), une commission consultative rattachée directement au premier ministre.

Les spoliations commises pendant la Seconde Guerre Mondiale revêtent différentes formes qu’il est nécessaire de rappeler.

La forme la plus généralisée est le vol et le pillage organisé par les autorités allemandes ayant mis en place des services spécifiques dédiés. Concernant les biens culturels, l’Etat-major allemand agissait via l’action d’Alfred Rosenberg, un membre du Reich dirigeant l’ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg), une équipe d’intervention dédiée à la spoliation des collections de grands propriétaires juifs et francs-maçons des territoires occupés par la Wehrmacht dès 1940. 

Le pillage plus général est mis en place dès 1941 par l’Action-meuble, la Möbel-Aktion, parfois dénommée M-Aktion, et qui consiste à confisquer et transporter les meubles, les articles ménagers et les vêtements des foyers juifs de France, de Belgique et des Pays-Bas. Ils sont ensuite revendus dans les territoires du Reich allemand. Dans le cas où des œuvres d’art sont retrouvées pendant la Möbel-Aktion, elles sont reversées à l’ERR. C’est là qu’entre en jeu la réquisition de certaines salles du Louvre et des salles du musée du jeu de Paume qui sont muséographiées avec des œuvres volées à Paris et dans toute la France, telle la Salle des Martyrs dénommée ainsi par Rose Valland car contenant des œuvres d’art dit « dégénéré » et destinées à être détruites. Grâce au travail de Rose Valland, attachée de conservation qui travaillait pour les musées nationaux, officiellement pour assurer la logistique de la régie des œuvres mais qui a noté et renseigné toutes les œuvres qu’elles a vu passer, on garde aujourd’hui la mémoire de collections privées.

La salle des Martyrs du musée du Jeu de Paume, Paris, 1941. ©DR

Un autre type de spoliation est le vol légalisé ou en tout cas le vol d’apparence légale en application de la législation de l’Occupant ou du régime de Vichy, nommé aryanisation et qui a pour but d’éliminer toute présence juive dans l’économie nationale. Concrètement, les « biens israélites » sont mis en ventes aux enchères publiques, au profit de l’état. Ce type de ventes est heureusement sourcé par des archives conservées aux Archives Nationales au contraire d’un autre type de spoliation, la vente forcée par les circonstances ou vente sous la contrainte qui ne laisse souvent aucune trace. Les vendeurs ayant besoin d’argent pour survivre ou financer leur fuite ou leur exil, les ventes se font de la main à la main, sans archives ni facture et souvent à un prix cassé évidemment défavorable pour le vendeur.

Côté français, on estime à environ 100 000 le nombre d’œuvres spoliées (hors livres), mais en réalité il y en a sans doute davantage. Ces œuvres sont pour partie conservées dans les collections publiques, sous plusieurs catégories.

Les œuvres dites MNR (Musées Nationaux Récupération) sont au nombre de 2000 et constituent les dernières œuvres d’un ensemble de 60 000 biens récupérés en Allemagne et renvoyés en France après-guerre car identifiés comme venant de France. Les trois-quarts de ces 60 000 œuvres ont été restitués très rapidement et un quart est resté non réclamé. Sur ce quart, l’administration en a vendu une partie et conservé 2000 œuvres inscrites sur un inventaire particulier attaché aux collections publiques françaises. Mais ces MNR n’appartiennent pas à l’état ni aux collections publiques, ils sont en attente de restitution à leurs légitimes propriétaires. Sur ces 2000 œuvres : 80% restent de provenance inconnue. Toutes ne sont d’ailleurs pas des œuvres spoliées, mais aussi des œuvres vendues aux Allemands dans des conditions que l’on ignore.

Les peintures italiennes

Attribué à Francesco dal Ponte dit Francesco Bassano il Giovane (1549-1592) et atelier, Scène de marché, huile sur toile, 125 x 172 cm, Inv. D. 957.8.1, MNR 255

Les deux peintures italiennes dites MNR de la collection du musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon sont intimement liées à l’histoire des collections. Lorsqu’une partie de la collection du marquis Giampietro Campana (1808-1880) est acquise par l’État français, sous l’autorité de Napoléon III, elle est exposée avant d’être dispersée dans plusieurs musées. Le musée de Besançon reçoit entre 1863 et 1876 neuf tableaux qui seront bientôt échangés dans le cadre de la création du musée du Petit-Palais d’Avignon avec d’autres œuvres, dont deux MNR, la Scène de marché d’après Francesco Bassano et La glorification d’un prince attribué à Gregorio Guglielmi.

Etiquette dactylographiée au dos du Bassano

L’arrêté de dépôt daté du 28 janvier 1956 confirme le dépôt par le Louvre du tableau de Bassano dans le cadre de « l’échange Campana ». Une étiquette au dos de l’œuvre, dactylographiée, nous informe de manière fragmentaire sur le parcours de l’objet : « Linz, le 1er juin 1946 ». Cette étiquette suggère que cette toile a été récupérée en Autriche à cette date puis attribuée au musée du Louvre (inv. MNR 255) par l’Office des biens et intérêts privés en 1950 avant de rejoindre les collections bisontines. L’indication de la ville de Linz n’est pas anodine, puisqu’Adolf Hitler y avait projeté son Fürhermuseum, un musée gigantesque « d’art véritable » en opposition à « l’art dégénéré ». Les modes d’acquisition des œuvres dédiées à ce musée allant de la spoliation pure à la vente forcée. La base de donnée Rose Valland nous informe qu’avant d’avoir été spolié, ce tableau a été vendu dans une galerie londonienne en 1928. Il est sans doute celui qui appartient à la galerie Sambon en 1929, une galerie parisienne qui offre à la vente de nombreux tableaux de Bassano.

Attribué à Gregorio Guglielmi (1714-1773), Glorification d’un prince, huile sur toile, 92.7 x 74.7 cm, D. 956.3.1, MNR 719

Ce tableau de Guglielmi, un bozzetto pour un projet encore non identifié, est dû à un artiste italien qui a beaucoup produit pour les cours européennes. Ce tableau est acheté 40 000 F en 1941 à Paris, chez Etienne Donath, un juif émigré d’Hongrie qui ouvre un commerce d’antiquités en 1934. Le tableau de Guglielmi est acheté, dans ces conditions forcées, par la Städtische Galerie de Francfort. Lors de la débâcle allemande, il est mis à l’abri à Amorbach, une ville de Bavière et transporté au Central Collecting Point de Munich le 8 février 1946. Le Central Collecting Point de Munich est un ancien dépôt utilisé par le programme Monuments, Fine Arts and Archives Program (un groupe communément surnommé les Monuments Men) pour traiter, photographier et redistribuer les objets culturels confisqués par les nazis. Le tableau est ensuite rapatrié le 23 mai 1946 et intègre le siège de la commission de la récupération artistique en 1951. Il est ensuite attribué au musée du Louvre puis au musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon.

Etiquette au dos du Guglielmi retraçant son achat par la Städtische Galerie de Francfort, sous le numéro 1058

Les peintures françaises

Jean-Louis Demarne (1744-1829), Paysage avec vaches et bergers, huile sur toile, 100 x 80 cm, D. 960.2.1, MNR 133

Dix des treize MNR du musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon sont des peintures françaises, parmi lesquelles huit sont données à Gustave Courbet et sont essentiellement des paysages francs-comtois ou suisses. Les deux autres sont pour le premier un mystérieux tableau du Saint-Suaire et pour le second un Paysage avec vaches et bergers donné à Jean-Louis Demarne, qui a été déposé au musée de Besançon en raison de la présence d’un autre tableau de l’artiste dans les collections, une Noce comtoise, et à cause de la représentation présupposée d’un paysage franc-comtois.

Gustave Courbet (1819-1877), Le Gour de Conche, huile sur toile, 74 x 60 cm, D. 953.1.3, MNR 185

Pour le tableau de Demarne, comme pour plusieurs autres tableaux de Courbet (Le Gour de Conche, Braconniers dans la neige, Le puits noir, Bords du Léman, Portrait de Rembrandt), les œuvres ont transité via le marché de l’art français. Les marchands ici concernés sont bien connus, telle Maria Almas Dietrich, marchande d’art munichoise et l’une des acheteuses les plus actives sur le marché de l’art en France pendant l’Occupation, disposant d’un vaste réseau de courtiers et de marchands comme Gustav Rochlitz, qui a vendu Braconniers dans la neige. Quant au Pont Saint Sulpice sur l’Areuse de Courbet, réalisé lorsqu’il était en Suisse, il est entré dans la collection du ministre des Affaires Etrangères du Reich puis a été retrouvé après-guerre dans un dépôt à Hambourg.

Gustave Courbet (1819-1877), Portrait de Rembrandt, huile sur toile, 86 x 73.2 cm, D. 963.1.8, MNR 190

Un autre tableau de Courbet, un Portrait de Rembrandt, est exécuté lorsque Courbet se rend à Munich durant l’été 1869. Avant même le début de la guerre, le tableau a une destinée mouvementée, étant confié à la galerie Durand-Ruel par le peintre puis confisqué par l’État, restitué à la sœur de l’artiste Juliette Courbet puis vendu plusieurs fois avant d’être acheté sur le marché de l’art parisien en 1940-1941 pour les musées de la ville d’Aix-La-Chapelle.

Un autre tableau, dont l’attribution à Courbet est incertaine, représente un Portrait de femme dans le style d’Elisabeth Vigée-Lebrun. Il est aussi acheté à Paris pour le musée Städel de Francfort avant de rejoindre en 1941 la Landesgalerie de Salzbourg.

L’intérêt des nazis pour la peinture de Courbet s’explique par la théorie de l’art développée par Hitler, selon laquelle les avant-gardes, l’art dit déformé ou représentant un sujet « dépravé », étaient de nature juive – et donc dégénérée - lui permettant ainsi de justifier son antisémitisme et de prendre le contrôle sur la culture. Ainsi, les tableaux de Courbet choisis pour la spoliation nazie sont en très grande majorité des paysages plutôt classiques ; seul le tableau MNR du musée d’Orsay, Les baigneuses, représente des nus féminins, cependant loin de la tension erotico-lesbienne du Sommeil conservé au Petit-Palais.

Une statuette égyptienne mystérieuse

Statuette d’Isis allaitant Horus enfant, Egypte, 664-305 av. J.-C, 15.8 x 4.3 x7.9 cm, basalte, D. 951.5.1, ER 1

La dernière œuvre est sans doute la plus mystérieuse puisque son historique d’avant-guerre n’est pas connu. La petite statuette de basalte d’Isis allaitant Horus a été acquise à Paris par un marchand munichois, Walter Bornheim, un proche d’Hermann Göring pour lequel il achète activement sur le marché de l’art français à partir de 1941. 

Cette statuette a été conservée au Central Collecting point de Munich avant de rejoindre le Louvre puis Besançon.

L’exposition de ces MNR aux publics est indispensable pour aider la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 puisqu’elle permet potentiellement la reconnaissance par des ayant-droits d’œuvres ayant un temps appartenu à leurs aïeux. C’est pourquoi ils sont signalés au sein du parcours permanent du musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon par une mention sur leur cartel et une vignette apposée près de l’œuvre, permettant de les identifier rapidement. 

Un accrochage dédié, expliquant la nature des MNR, a également été installé dès l’entrée du musée, à droite de la billetterie.

Également, tous et toutes peuvent consulter la base de données Rose-Valland Musées nationaux de Récupération (MNR), qui recense toutes les œuvres MNR avec une présentation comprenant photos, notes techniques, historiques et bibliographiques détaillées et régulièrement actualisées. Ce site permet également l’accès à une documentation historique, des textes juridiques et des liens avec des sites étrangers facilitant les recherches.

Pour toute réclamation, demande de restitution ou d’indemnisation concernant des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, il suffit d’écrire à cette adresse : contact.m2rs@culture.gouv.fr

Virginie Guffroy

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