« A la loupe » (2013)
Les reliures du cardinal de Granvelle
Le cardinal Antoine de Granvelle (1517-1586) possédait plusieurs bibliothèques, qu’il faisait alimenter en même temps : celle de son palais archiépiscopal de Malines ; celle du château de Cantecroix près d’Anvers ; celle de son palais à Bruxelles ; une autre le suivait dans ses déplacements.

Cette bibliothèque typique d’un grand ecclésiastique de la Renaissance se reconnaît à l’ex-libris que le cardinal faisait apposer sur ses livres, mais surtout par ses reliures très caractéristiques. La bibliothèque de Besançon en conserve aujourd'hui 268.
Ces reliures Granvelle se divisent en deux grands ensembles :
- les reliures réalisées à la demande du cardinal : d’une part des reliures italiennes en maroquin de diverses couleurs, réalisées à Venise ;
d’autre part des reliures parisiennes réalisées dans des ateliers parisiens qui travaillaient pour le roi François Ier, et des bibliophiles comme Jean Grolier ou Thomas Mahieu ;
- des reliures d’origine diverses, qui ont été offertes au cardinal.

Le décor des reliures italiennes associe un décor à froid (sans application d’or) et un décor doré sur une couvrure en maroquin (peau de chèvre) teinte de diverses couleurs ; les tranches sont dorées.

Le titre de l’ouvrage et/ou le nom de l’auteur figure en lettres d’or sur le plat du livre, et on les retrouve sur la tranche, parfois sur bandeau pourpre, vert ou bleu.

Dans cet ensemble de reliures italiennes, se distinguent les reliures dites « aldines » : au nombre de 55, elles décorent des éditions sorties des presses du grand imprimeur vénitien Alde Manuce et de ses héritiers, entre 1495 et 1547.
Ces reliures ont été commandées par le cardinal à un atelier vénitien pour distinguer des éditions qu’il affectionnait. Sur des maroquins bleus, citrons, rouges, verts ou blancs, un double encadrement fait d'un filet simple doré bordé de filets à froid, encadre le titre doré ; une feuille de lierre dorée figure à chaque angle du rectangle intérieur.
Le relieur a cherché à donner au plat la dignité et la gravité d’une œuvre antique : l’auteur et/ou le titre sont en capitales, à la manière d’une inscription, placés dans la partie supérieure du plat comme dans une stèle ; le fer en forme de feuille de lierre est repris d’inscriptions antiques.

Sur d’autres éditions vénitiennes, le décor propose en outre des fers en accolade qui dessinent un losange à courbures, avec des petits fleurons, parfois une fleur de lys.

Un autre ensemble de reliures italiennes, 54 au total, se caractérise par l’utilisation de maroquin vert et d’un décor argenté très élaboré en losange à courbures (fait de fers courbes en accolade) ; treize d’entre elles sont décorées d’un double cercle central orné du motif de la Fortune, représentée tenant une voile gonflée au-dessus de la tête.
![Sur un ouvrage en allemand : Die grosz Chirurgei [La grande chirurgie], de Walther Ryff, imprimé à Francfort en 1545](/images/8c2c7b1c-3c1f-4d6b-b878-ac66a49fde8b_2_column.jpg)
Les reliures parisiennes sont en veau brun, avec un décor alliant des filets à froid ou dorés qui forment un décor de rectangles et de losanges, et comme fleuron doré, central ou d’angle, l’aigle bicéphale couronnée, symbole de l’Empire, qui figure dans les armes des Granvelle.

D’autres fers peuvent s’y ajouter ; lion, coupes accolées… et le décor doré peut être d’une grande virtuosité.

Parmi les reliures françaises, figurent aussi des reliures mosaïquées de cires de couleurs.
Ainsi, sur l’ouvrage de Nicolas Biesus, "De Republica" (Anvers, 1556), le plat supérieur est décoré d’un encadrement de petits fers riche de rehauts polychromes (dont la cire blanche) ; la plaque dorée, à l’intérieur de ce cadre, est rehaussée de cire blanche, bleue, verte et rouge ; au centre, les armes de Granvelle peintes avec sa devise «Durate» et son chapeau de cardinal.

Parmi les reliures offertes au cardinal de Granvelle par des auteurs ou des imprimeurs-libraires, une des plus belles est celle-ci.
Le décor doré de filets, petits fers, fers courbes et criblé (décor de points) habille le maroquin rouge qui recouvre l’"Historia di detti et fatti notabili di diversi principi" de Lodovico Domenichi, Venise, 1556.
C’est une reliure offerte par l’imprimeur vénitien Gabriele Giolito au cardinal ; elle a été réalisée à Venise par un relieur d’origine rhéno-flamande qui s’y était installé, Antonius Lodoicus Flander (ou : Anton Ludwig le Flamand), qui a également travaillé pour la famille Fugger, les banquiers d’Augsburg.
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