« A la loupe » (2025)
Louis Hertig (1880-1958), sculpteur bisontin
Fils d’un horloger suisse installé à Besançon avant la naissance de ses enfants, Louis Fritz Adolphe Hertig voit le jour le 6 février 1880. Il commence ses études artistiques à l’école des beaux-arts de Besançon auprès du peintre Félix Giacomotti (1828-1909), avant de poursuivre son apprentissage en Suisse, à Genève, sous la houlette du sculpteur Barthélémy Caniez (1834-1920), puis en Italie, à Florence, dans l’atelier des frères Pugi. De retour en France, il établit son atelier à Besançon, où il épouse Louise Rosette Flückiger (1881-1974) le 20 août 1907 (inv. 2024.0.169). Il obtient la naturalisation française en 1913.
Des photos sauvées du grenier

Il y a 35 ans, Yvonne Boillin, propriétaire de l’ancienne maison de Louise et Louis Hertig, située au 12 rue Midol, propose de donner au musée des beaux-arts et d’archéologie quelques œuvres du sculpteur (17 dessins et un carnet, 2 peintures et 3 sculptures), ainsi qu’un ensemble photographique retrouvés dans la demeure de l’artiste. Près de 400 négatifs sur plaques de verre au gélatino-bromure d’argent, conditionnés dans leurs boîtes d’origine annotées par le sculpteur, ainsi que deux albums, quelques tirages anciens et documents d’archives entrent donc dans les collections bisontines en 1990, mais sans qu’un inventaire précis des photographies soit alors dressé. Cette opération est réalisée en 2024, à l’occasion d’un travail d’étude plus général sur le fonds photographique du musée des beaux-arts et d’archéologie.
La photographie comme outil de travail
Au début du XXe siècle, alors que la pratique photographique en amateur se développe, Louis Hertig recourt à ce médium pour l’aider dans son activité professionnelle, notamment pour fixer la pose des nombreux modèles qui défilent dans son atelier. Devant un drap sommairement tendu, femmes, hommes, enfants posent sous divers angles, tel René Vallery-Radot, gendre de Louis Pasteur, dont Hertig réalise le portrait en médaillon vers 1933 (conservé à la maison Pasteur de Dole). Nombre de ces photos sont donc avant tout des outils documentaires, sans attention particulière portée à la lumière ou au décor et avec des flous relativement fréquents, notamment pour les clichés de jeunes enfants.
Modèles professionnels
Au sein de cet ensemble, se glisse une dizaine de photos plus composées, où des modèles professionnels sont mis en scène dans une esthétique « art déco » très affirmée (inv. 2024.0.58 à 2024.0.64) et parmi lesquels on distingue deux très belles photographies de nu féminin, vu de face et de dos. Au début des années 1930, Louis Hertig fait aussi appel à son propre fils, alors jeune adulte, pour poser nu dans la posture qu’il entend donner à son personnage d’Isaac, groupe sculpté qu’il présente au Salon de 1937, deux ans après la mort de James (inv. 2024.0.358 à 360).
Promouvoir ses œuvres
« Une œuvre d’art signée L. Hertig est un cadeau toujours apprécié », telle est la mention qu’on peut lire sur un petit catalogue composé de 13 images de sculptures censées présenter toute l’étendue du savoir-faire du sculpteur, que ce soit pour des groupes allégoriques, mythologiques ou pour des monuments funéraires. Chaque négatif ayant servi à sa réalisation est identifiable dans le fonds conservé au musée. Ce petit recueil était probablement distribué à de potentiels clients et témoigne de la volonté de Louis Hertig d’utiliser aussi la photographie comme outil de promotion et de diffusion de son activité de statuaire.
Commémorer les morts de la Première Guerre mondiale
Dans les années 1920, Louis Hertig, comme de très nombreux sculpteurs, consacre une large part de son activité à la réalisation de monuments commémoratifs en hommage aux soldats morts pendant la Première Guerre mondiale. Onze monuments de sa main sont ainsi recensés au niveau régional, exécutés dans des styles très différents, alternant vision sentimentaliste (Nancray) et esprit belliqueux (Boussières) ou même évocation religieuse à Trévillers, commune pour laquelle il réalise un grand Christ tenant la Croix. Mais le monument le plus saisissant est sans doute celui de Morteau, qui reprend la composition proposée par Hertig et l’architecte Georges Serraz au concours du monument de Verdun, pour lequel ils reçurent le second prix.
La famille Félix
En 1926, Louis Hertig présente au Salon des artistes français un groupe sculpté en marbre de Carrare représentant une femme assise, un livre ouvert sur les genoux et entourée de ses quatre enfants, deux filles et deux garçons. Ce portrait de famille, par nature intime, résonne néanmoins avec l’histoire bisontine puisque Maurice et Georges Félix, ici représentés, furent tous deux tués pendant la Seconde Guerre mondiale. Georges, le plus jeune, fut exécuté par les Allemands, avec trois autres camarades résistants, en lisière de la forêt de Chailluz le 5 septembre 1944. Les Félix, famille d’industriels textiles, étaient installés avenue du commandant Marceau et entretenaient apparemment des liens d’amitié avec les Hertig. Le groupe fut offert au musée en 1961 par l’une des filles Félix, Madame Georges Kopp, et déposé dès cette date au lycée Pasteur, où il se trouve encore aujourd’hui (inv. 961.3.1).
Affinités musicales
Parmi les nombreux portraits réalisés par Hertig, on distingue deux élégantes évocations de musiciennes. Tout d’abord la célèbre claveciniste bisontine Marcelle De Lacour (1896-1997), debout devant son instrument, dans une robe de concert « à la grecque », aux lignes épurées, telle qu’on peut d’ailleurs la voir sur d’autres photos de la fin des années 1930. Toutefois, dans le fonds Hertig, seule une image de la sculpture achevée nous est parvenue, mais aucune de Madame De Lacour posant pour l’artiste.

Le cas est différent pour un second groupe, représentant, selon une note manuscrite, la pianiste Andrée Cognard. Outre la photo de l’œuvre (inv. 2024.0.70), nous conservons de cette jeune femme une très belle image, bien composée, la présentant de profil, les yeux baissés, installée dans un fauteuil en rotin au milieu de l’atelier où on devine en arrière-plan son double sculpté. Hélas, nous n’avons trouvé jusqu’à présent aucune information concernant cette musicienne au visage si délicat.
Un air de famille
Parallèlement aux photographies témoignant de l’activité professionnelle de Louis Hertig, le fonds comporte également de très nombreuses photographies familiales. Hormis son épouse et son fils, aisément identifiables, on remarque quelques figures récurrentes qui posent dans le jardin ou sur la terrasse de la maison rue Midol. Si on ne connaît pas leurs noms, on devine dans l’intimité partagée des grands-parents, un neveu, une sœur peut-être, de la parenté suisse aussi… Sur un autre lot de plaques apparaît un autre groupe, quelque peu intrigant. Il s’agit de soldats en uniformes américains posant seuls ou avec la famille Hertig dans leur propriété ou en promenade. Louis Hertig semble d’ailleurs avoir réalisé le portrait d’au moins deux de ces hommes. Parmi quelques notes conservées dans la documentation du musée, la donatrice du fonds évoquait, sans citer ses sources, l’existence d’amis américains qui auraient aidé les Hertig pendant la guerre en leur envoyant des colis. Faut-il voir là un lien ? Ces photos datent-elles du conflit ou de l’après-guerre ?
James Hertig (1910-1935)
L’étendue du fonds nous permet également de suivre au fil des ans James Hertig, le fils de l’artiste, depuis sa toute petite enfance jusqu’à l’âge adulte, puisqu’il apparaît sur près de 80 photos. Trois portraits du jeune homme ont sans doute été réalisés dans le studio photographique des Meusy (inv. 2024.0.1 à 3), alors qu’il vient vraisemblablement de terminer ses études de professeur d’allemand, tandis que les autres sont des clichés familiaux, réalisés par son père ou sa mère. Soigneusement composés ou saisis sur le vif, ils témoignent tous d’une immense tendresse pour cet enfant unique, visiblement choyé par ses parents et qui décéda à l’âge de 25 ans. Quelques mois après sa mort, Louis Hertig réalisa, d’après l’un des clichés de Meusy, un portrait peint de son fils dans sa tenue de diplômé (inv. 990.2.3), évocation émouvante des espoirs brisés d’un père pour son fils.
La tentation du paranormal
Parmi les documents donnés avec les plaques photographiques, figurent deux lettres échangées par Louis Hertig avec le secrétaire du comité d’Étude de photographie transcendantale, le capitaine Côte, lui-même ami du commandant Darget, célèbre pour ses « photographies de fluides ». La première lettre date de 1924 et doit précéder de peu une œuvre d’Hertig intitulée L’âme se dégageant du corps, qui semble explorer cette préoccupation de la matérialisation des esprits dans l’au-delà.
La seconde lettre fut envoyée le 15 novembre 1936, un an après le décès de James, et nous apprend que Louis Hertig appartient alors à un groupe de psychisme bisontin et qu’il s’essaie à son tour à des prises de vue ésotériques, ce dont atteste d’ailleurs une boîte contenant sept plaques et étiquetée « psychisme ». Ces plaques n’ont pas été numérisées, on n’y distingue presque rien, hormis quelques vagues formes ondulantes. Conservées par l’artiste, elles témoignent néanmoins de sa sensibilité au courant spirite qui connaît un regain d’intérêt dans la première moitié du XXe siècle.
Virginie Frelin-Cartigny
La numérisation du fonds Hertig a été réalisée avec le soutien de la Direction régionale des affaires culturelles de Bourgogne-Franche-Comté.
L’étude sur Louis Hertig, son œuvre, son entourage, ses proches ne fait que commencer. Si à la consultation de ce fonds photographique, vous reconnaissez des personnes ou des œuvres, n’hésitez pas à contacter le musée pour nous aider à enrichir notre connaissance sur cet artiste : documentation.mbaa@besancon.fr
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