« A la loupe » (2024)
Nos Amis ont 75 ans
Connaissez-vous l’association des Amis des Musées et de la Bibliothèque, fondée en 1948, il y a 75 ans ? Elle regroupe près de 600 adhérents et joue un rôle actif dans la vie des musées d’Arts et du Temps et de la bibliothèque de conservation. Pour vous en convaincre, il suffit de parcourir la petite sélection des œuvres et des documents qui ont pu être achetés grâce à leur mécénat généreux, entre 1975 et 2023.
1975 : le Pontifical d’Hugues de Salins
Hugues de Salins est certainement la figure historique la plus importante du Moyen Âge pour Besançon. Archevêque de 1031 à 1066, il est aussi un proche conseiller de l’empereur germanique. Hugues de Salins reconstruit presque toutes les églises de la ville, et installe à la cathédrale un atelier de copie de manuscrits (scriptorium), pour améliorer la formation des prêtres.
Treize manuscrits liturgiques du XIe siècle commandés par Hugues de Salins sont conservés à la bibliothèque, mais il manquait le texte du pontifical, qui contient les rituels réservés à l’archevêque (le pontife). Heureusement, l’évêque de Tours avait fait réaliser une copie à l’époque sur le modèle bisontin ; c’est cette copie du XIe siècle, vendue à la Révolution et passée par plusieurs collectionneurs jusqu’en Angleterre, qui a pu être rachetée en 1975.
Le texte est copié sur un parchemin très blanc, dans une belle calligraphie en minuscule caroline, utilisée depuis l’époque carolingienne jusqu’au XIIe siècle, avant que l’écriture gothique ne s’impose. Les illustrations sont sobres, des lettrines à l’encre rouge, quelques-unes décorées de visages dans les partitions musicales.
1994 : le Gisant de Jean de Bourgogne, fils de Mahaut d’Artois
Longtemps oubliée, l’identité de ce jeune enfant n’a été dévoilée qu’en 1985. La petite sculpture en marbre était conservée depuis une date inconnue dans l’église de Darbonnay dans le Jura et alors identifiée comme saint Philibert, patron de l’église. Françoise Baron, alors conservatrice chargée des sculptures médiévales au musée du Louvre, y a reconnu le petit Jean de Bourgogne, fils de Mahaut d’Artois.
En 1315, quelques mois après la mort de l’enfant, Pépin de Huy, « tombier » et sculpteur attitré de Mahaut d’Artois, est mandaté pour réaliser une petite tombe de marbre mise en couleur par Jean de Rouen à Paris puis acheminée à Poligny, dans l’église des Jacobins.
De l’ensemble du monument, détruit à une date inconnue, il ne subsiste plus que ce petit gisant fragmentaire, à la jambe légèrement fléchie et au surcôt plissé et orné de boutons. Ce gisant est un précieux témoignage de l’art de Pépin de Huy, qui porte au visage de l’enfant un réel souci de vraisemblance grâce aux détails naturalistes, comme les oreilles décollées.
1994 : la Crèche comtoise
Ce manuscrit très soigné est copié d’après l’édition imprimée de 1889 de la Crèche comtoise, texte et musique enrichis par de nombreux dessins originaux. La tradition ancienne de la crèche jouée dans les rues bisontines est revisitée à cette époque par un nouveau théâtre de marionnettes installé rue Granvelle.
Au premier acte, l’annonce de la naissance de l’enfant Jésus est faite par un couple qui se dispute, la Naitoure et Barbizier. Dans la Crèche comtoise, Barbizier représente les vignerons et le peuple en général. Il exprime leurs difficultés, pauvreté, famines, épidémies, mauvaises récoltes, et dénonce les personnages qui incarnent des travers de la société dans des « scènes d’actualité ». Les personnages principaux s’expriment en patois tandis que les anges, les bergers et les notables (religieuse, avocat, coquette) répondent en français.
La Crèche se termine avec la procession des rois mages : « Et aiprès, se vous êtes d’avis, nou irans ai la Madeleine entanre lou sermon que serai prôchie pa monsieu lou curie… et peus nous irans vo passa lai prouchession générale. »
1996 : deux fragments de bas-reliefs égyptiens
Ces deux bas-reliefs possèdent des organisations similaires. Une frise d’étoiles constitue le registre supérieur et signifie le ciel. Le registre inférieur est composé de quatre colonnes d’inscriptions hiéroglyphiques dans lesquelles est représentée la déesse cobra Ouadjet. Enfin, la quatrième colonne donne la titulature des deux souverains.
Les deux fragments sont datés du début de l’époque ptolémaïque. Fils d’Alexandre le Grand et de Roxane, Alexandre IV Aegos est l’héritier théorique du royaume à la mort de son père en 323 av. J-C., mais ne gouvernera pas : il décède à 13 ans en 310 av. J.-C.
Dans le même temps, Ptolémée, un fidèle d’Alexandre, est nommé en 323 satrape (protecteur du pouvoir) d’Égypte jusqu’à son accession au trône en 305 sous le nom de Ptolémée Ier Sôter (le sauveur), fondant par là même une nouvelle dynastie en Égypte, d’origine grecque.
Jusqu’à cette acquisition de 1996, les collections d’égyptologie du musée des beaux-arts et d’archéologie relevaient dans leur grande majorité de la 3e période intermédiaire, cette acquisition offre donc une ouverture nouvelle et fondamentale pour la présentation des antiquités égyptiennes du musée.
2000 : la Fuite en Égypte
Ce groupe sculpté réalisé en bois de noyer, daté d’entre 1520 et 1540, est représentatif du style gothique tardif. Conservé dans la chapelle de Fondremand en Haute-Saône jusqu’en 1942, il est alors repéré sur le marché de l’art cette même année.
Saint Joseph présente l’enfant Jésus à la Vierge Marie, assise sur un âne. L’intensité des regards renforce l’aspect dramatique de la fuite. Cette expressivité est typique du gothique tardif. Le souci du détail est éclatant dans le traitement des drapés et des postures des personnages qui semblent s’animer.
La polychromie et la dorure sont toutes deux d’origine. Technique emblématique de cette époque, le sgraffito consiste à gratter une couche de couleur posée sur l’or afin de révéler des ornements dorés, comme sur la tunique en damier de Joseph et la robe somptueuse de Marie.
Le mystère autour de son foyer de création reste entier, ce qui renforce la singularité et la beauté exceptionnelle de cette sculpture, qui illustre parfaitement la transition entre le gothique et la Renaissance.
2003 : un livre d’heures à l’usage de Besançon
Ce livre de prières en latin a certainement été calligraphié et enluminé à Dole ou à Besançon, dans l’atelier du « maître des prélats bourguignons ». Les livres d’heures font l’objet d’une production très importante au XVe siècle, ils suivent un modèle bien établi pour le texte et les illustrations. Ils sont destinés à une clientèle de laïcs suffisamment riches pour pouvoir s’offrir cet objet de prestige.
Ce manuscrit possède une grande unité, tant par son impeccable calligraphie d’un seul jet que par son illustration ; celle-ci comporte onze miniatures pleine page à marges fleuries, qui introduisent les différentes heures (ou prières). Les marges sont ornées de roses, bleuets, oeillets, fraises, pâquerettes, mais aussi de rinceaux bleu et or, avec un paon, un singe, un escargot, des dragons, un flûtiste et un cornemuseux.
L’ordre des textes et leur illustration, du calendrier à l’office des morts, s’inscrit dans le temps du salut chrétien qui se déroule de l’Annonciation à la Pentecôte, pour aboutir, après la mort, au jugement dernier, à la fin des temps.
2007 : les Volcans d’Hamilton (Campi Phlegraei)
C’est le plus célèbre livre concernant les volcans d’Italie et un des livres fondateurs de la vulcanologie moderne. Les 59 planches représentent de splendides scènes d’éruption, des paysages, des grottes, des formations rocheuses, des spécimens minéralogiques. L’auteur, sir William Hamilton (1730-1803), ambassadeur du roi d’Angleterre à la Cour de Naples, est aussi archéologue, collectionneur d’antiques et particulièrement de vases. Il est le premier à s’intéresser à la vulcanologie. Il observe et explore le Vésuve, l’Etna et les îles Lipari. Il est accompagné dans ses explorations du dessinateur Pietro Fabris. Il fait imprimer à ses frais les 150 exemplaires dont il surveille la mise en couleur, à destination des amateurs fortunés du Royaume-Uni, de France ou d’Allemagne.
Pierre-Adrien Pâris s’est vivement intéressé aux travaux de William Hamilton. Il possède dans sa bibliothèque la superbe édition consacrée à la collection de vases grecs d’Hamilton. Il a traduit ses lettres sur les volcans et en a laissé un manuscrit enrichi de gouaches napolitaines représentant des éruptions du Vésuve.
2008 : les Arabesques des Loges de Raphaël au Vatican
Le Pape Léon X avait demandé à Raphaël en 1514 de décorer la grande galerie qui venait d’être édifiée au Vatican. Raphaël utilisa, pour la réalisation des motifs des 14 pilastres, des ornements de grotesques en candélabres, en référence aux peintures romaines découvertes vers 1480 dans les fouilles archéologiques de la Domus Aurea de Néron. Ces grotesques ou arabesques eurent une grande influence sur l’art occidental. Avec la publication des peintures des Loges dans les années 1770, elles acquirent une célébrité européenne.
Cette aquarelle est un relevé partiel des pilastres intérieurs des Loges du Vatican, par Pierre-Adrien Pâris. Elle complète un ensemble déjà remarquable conservé à Besançon. Deux relevés d’arabesques des Loges du Vatican figurent dans la collection Pâris léguée en 1819 à la bibliothèque municipale. Ils représentent des détails empruntés à différents pilastres. Ils ont été esquissés début avril 1773 et furent achevés dans les semaines qui suivirent au Palais Mancini, dans la chambre de l’artiste.
2020 : trois lettres de Courbet
Les lettres de Gustave Courbet sont rares sur le marché. Celles-ci concernent la participation du peintre à l’Exposition universelle organisée par la ville de Besançon du 24 juin au 28 octobre 1860. Courbet y a exposé quatorze tableaux. Ces lettres sont écrites depuis Ornans : au printemps, le 14 juin, et le 10 septembre 1860. Elles sont adressées à Charles Chappuis, un des organisateurs de l’exposition.
Courbet fait part de ses préoccupations sur la présentation matérielle de ses tableaux. Il souhaite qu’on expose les oeuvres des peintres ensemble : « Ça évite une grande confusion et des recherches impossibles pour le public quand elles sont disséminées (…) Il faut au moins qu’elles soient sur le même panneau (…) ça fait voir l’homme distinctement dans sa persistance. » Il dresse ensuite la liste des oeuvres qu’il enverra, leurs dimensions et l’espace nécessaire pour les exposer. Il évoque aussi ses démêlés avec la ville de Besançon.
2021 : Vue de Besançon par Van der Meulen
Ce dessin est un témoignage rare de la première conquête de Besançon par les armées de Louis XIV le 6 février 1668 – rare car l’iconographie de la conquête de Franche-Comté se développe après la seconde, définitive, de 1674. Seul dessin connu de cette qualité, relatif à cet épisode majeur de l’histoire bisontine, il est l’oeuvre d’Adam Frans van der Meulen (1631-1690), artiste flamand venu travailler au service du roi de France dès 1664.
Repéré pour ses talents de paysagiste, il est envoyé sur les différents lieux de bataille pour dessiner les villes conquises. Van der Meulen vint à Besançon au début de l’année 1668, fit des croquis sur place puis réalisa en atelier ce dessin d’une grande justesse topographique, afin d’en tirer une estampe, créée entre 1670 et 1674, laquelle fut achetée par Louis XIV pour enrichir sa collection. Van der Meulen est également l’auteur du magistral Siège de Besançon peint entre 1679 et 1683 (musée du Temps), un grandiose paysage panoramique de la ville, qui commémore la deuxième conquête.
2022 : une horloge à pendule primitive
Datée de 1660, cette pièce de Nicolas Hanet est l’une des plus anciennes horloges à pendule françaises. Formé à La Haye, aux Pays-Bas, il est le premier horloger français à produire de telles horloges dès son retour à Paris.
L’application du pendule à l’horlogerie est fondée sur la découverte par Galilée, en 1581, de la propriété de l’isochronisme du pendule. Ce n’est toutefois qu’en 1657 que le mathématicien et physicien hollandais Christian Huygens réalise la première horloge à balancier pendulaire, à La Haye, avec l’aide de l’horloger Salomon Coster. Véritable révolution, le pendule améliore la précision de l’horloge qui passe de plus ou moins un quart d’heure par jour à 10 ou 15 secondes d’écart.
Deux horlogers se forment auprès de Salomon Coster pour ramener cette invention dans leur pays respectif : l’anglais John Fromanteel et le français Nicolas Hanet. Cette horloge à pendule est la troisième connue actuellement de Nicolas Hanet et la première à être entrée dans une collection publique française.
2023 : Le mérite de tout pays, par Boucher
Cette rare « chinoiserie » de Boucher est au format d’une peinture de chevalet. Dans cette toile, il reprend certaines des typologies de figures déjà employées dans d’autres compositions et puise dans sa propre collection d’objets asiatiques, une des plus riches et diversifiées du siècle, et qui comptait des milliers de porcelaines, de laques japonaises, de peintures chinoises que l’on retrouve çà et là dans ses oeuvres.
Les personnages des enfants du Mérite de tout pays puisent ainsi leur inspiration dans les pagodes de la collection de l’artiste (petits groupes de personnages en terre cuite). Les mêmes enfants se retrouvent dans les esquisses pour la Tenture Chinoise, dix peintures qui firent partie de la collection de Bergeret de Grancourt, et qui sont actuellement au musée de Besançon.
Ces esquisses, ainsi que Le mérite de tout pays, constituent un témoignage précieux du goût de l’époque pour l’Extrême-Orient et plus particulièrement, de la passion de la société parisienne pour la Chine dont s’emparèrent les artistes et les marchands merciers.
Auteurs : Typhaine Ameil, Julien Cosnuau, Henry Ferreira-Lopes, Virginie Guffroy, Pierre Emmanuel Guilleray, Séverine Petit, Amandine Royer
Pour en savoir plus, lire la brochure complète des 75 ans des Amis :
Comment adhérer à l’association : voir la page des Amis des musées et de la bibliothèque sur le site du musée
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