Expositions virtuelles > Poils et plumes à la bibliothèque (2019)
Représenter le monde
Envisagé dans ses rapports avec l'homme, l'animal touche à tous les grands dossiers de l'histoire sociale, économique, culturelle, religieuse et symbolique. Il est présent partout, à toutes les époques. Sujet longtemps négligé, voire méprisé par les historiens, il a été davantage étudié depuis une trentaine d'années, en partie grâce à l'impulsion donnée par Michel Pastoureau.
![Dürer, Albrecht. [La fuite en Egypte]. EST.M.146](/images/3d470060-65cb-46c8-90eb-6682ff2d080d_2_column.jpg)
Du Moyen-Âge au XVIIe siècle, on considète généralement que l'homme a été créé à l'image de Dieu, contrairement à l’animal ; mais selon un autre courant hérité d’Aristote, il existe des points communs entre l’homme et l’animal, idée également très présente chez saint François d’Assise. Pour certains auteurs l’animal possède une âme sensible, du moins les animaux jugés supérieurs, c’est-à-dire les quadrupèdes, essentiellement domestiques. La place de l’animal est donc complexe : il sert l’homme (pour les travaux des champs, le transport) mais peut également lui tenir compagnie. Pour certains, une frontière infranchissable sépare l’homme de l’animal, pour d’autres la démarcation n’est pas si nette.
Représenter le monde : L'animal dans la Bible

Les animaux occupent une importance particulière dans la Bible : le Christ naît dans une étable, entre un bœuf et un âne, symbole de son humilité. Dans ce manuscrit du XVe siècle, la nativité est représentée de manière très sobre : l'enfant Jésus, Marie et Joseph, et le bœuf et l'âne penchés sur lui comme pour le réchauffer. Les animaux sont ici protecteurs, comme le sera aussi l'âne dans l'épisode de la fuite en Égypte.

Les miniatures de ce livre d'heures sont l'œuvre d'un des plus grands maîtres du XVe siècle, l'enlumineur Jean Colombe. Ce manuscrit appartenait au XVIIe siècle au prieuré clunisien Saint-Désiré de Lons-le-Saunier. La représentation de l'évangéliste saint Marc accompagné de son animal symbolique, le lion, est traditionnelle : les évangélistes sont régulièrement figurés accompagnés de leur symbole : le lion pour Marc, l'aigle pour Jean, le bœuf pour Luc, et l'ange pour Mathieu. Ces quatre symboles sont appelés le tétramorphe.

Saint Jean est ici représenté accompagné de son animal, l'aigle.

Athanasius Kircher (1602-1680) est un jésuite allemand, à la fois mathématicien, linguiste, historien des religions. Avec son ouvrage L'Arche de Noé il veut prouver que tous les animaux auraient pu prendre place dans l'arche. Il décrit la construction de l'arche ainsi que son organisation. Dans ce livre, une planche de belles dimensions représente les différents étages de l'arche et les animaux qui y sont sauvegardés. Malgré sa prétention scientifique et les détails accumulés sur chaque animal cet ouvrage se veut religieux et entend donner une crédibilité à l'histoire du déluge et de l'arche de Noé. Certains bois des illustrations sont des réutilisations de bois gravés repris de diverses histoires naturelles populaires. Seules quelques planches sont signées et peuvent être attribuées avec certitude à un graveur, Coenraet Decker.
Livres d'emblèmes et de blasons

On attribue aussi des qualités, des traits de caractère aux animaux : ils sont ainsi utilisés en héraldique pour représenter la force, l’adresse, la majesté... Longtemps l'ours a été considéré comme le roi des animaux. Le lion, qui détrône l'ours au cours du Moyen-Âge, vers le fin du XIIe siècle, occupe bien sûr une place de choix dans les blasons, mais d’autres animaux comme le loup, le cerf, la panthère… sont aussi très souvent représentés.
Animaux réels, animaux imaginaires?
![Pierre Loisy. [Livre d'emblèmes gravés]. Cote 64466](/images/3dea53f4-2671-40c6-aeff-3e943d550538_2_column.jpg)
La distinction entre animaux réels et animaux chimériques est longtemps restée poreuse. Dès le XIIIe siècle on ne croit plus à la sirène ou au phénix, mais il faut attendre le XVIIe siècle pour que le dragon disparaisse des manuels de zoologie, et le siècle des Lumières pour qu’on cesse de croire à l’existence de la licorne. L’image gravée a joué un rôle considérable dans cette évolution des savoirs et des croyances : elle a permis la diffusion des connaissances, mais aussi favorisé la réflexion, les comparaisons.
Ce livre d'emblèmes de Pierre Loisy est composé d'une suite de gravures correspondant aux épreuves des planches d'un recueil, non publié, qui devait se composer de gravures au burin avec un texte au-dessous de chacune d'elles. La licorne est un animal communément représenté à partir du Moyen-Âge, et longtemps considéré comme réellement existant.

Ambroise Paré remet en cause l’existence de la licorne, qu’il considère comme « plutôt chose imagée que vraie et naturelle » et surtout nie le pouvoir supposé de la poudre de licorne, censée guérir certaines maladies et notamment être efficace contre poisons et venins. Il reste toutefois prudent car son existence est admise par l’Eglise. Pour Ambroise Paré, la licorne désigne à la fois un animal à quatre pattes avec une corne sur le front et un poisson à corne unique au milieu du front, probablement proche du poisson-scie.

La proximité entre homme et animal, qui logent parfois dans les mêmes espaces, entraîne tout un système de comparaisons que l’on retrouve dans les fables qui mettent en scène une société d’animaux sur le modèle de celle des hommes, faisant ressortir les défauts et les abus par l’intermédiaire des animaux. Se décentrer pour mieux se regarder, le procédé est classique. On le retrouve aussi dans les caricatures.