Expositions virtuelles > Journaux des tranchées (2015)
Rigolboche
Un titre amusant, expressif et sonore
Rigolboche commence à paraître en février 1915 et publiera, tous les 10 jours environ, 106 numéros jusqu'en mars 1918. Il a toujours été imprimé sur le front de façon artisanale (texte manuscrit ronéotypé). Le nombre de pages selon les numéros - et le temps dont disposaient les rédacteurs - varie de 4 à 8 ; des numéros spéciaux (pour Noël, pour les marraines…) ont jusqu'à 20 pages.

Le poilu qui lui a donné son titre se souvenait-il de la danseuse Amélie Marguerite Badel qui, sous ce surnom, fit les beaux jours du cancan à Paris sous le Second Empire ? A l'époque, -boche n'était encore qu'un suffixe argotique. André Charpentier dans son ouvrage de référence Feuilles bleu horizon en souligne la sonorité : "Rigolboche !... Titre qui ne s’explique pas, mais se saisit ; un poilu gavroche le lança un jour dans la tranchée, et comme il dut provoquer le rire, il fut adopté. Il est amusant, expressif, sonore."

Une lettre que la rédaction envoya à Anatole France pour accompagner un numéro du journal résume bien son esprit, qui est celui des journaux de tranchées : "Permettez à la direction du Rigolboche de vous envoyer un numéro d’un journal composé dans la tranchée de l’Argonne et imprimé pendant les jours de repos avec les moyens rudimentaires dont nous pouvons disposer. Il n’a d’autre but que de faire oublier quelques instants aux poilus leurs fatigues, et c’est pour cela qu’il faut excuser les licences poétiques qui s’y trouvent, causées souvent par la chute des marmites..."

Journal de la 20e brigade de la 10e division d'infanterie, il revendique "le plus fort tirage du front entier" ; il était surtout remarquablement illustré par ses animateurs, notamment Pierre-Jean Poitevin (1889-1933), peintre et dessinateur de presse au Petit Parisien ou à L'Illustration ; Poitevin, qui a commencé son service militaire de 3 ans en 1912, enchaînera avec 4 ans de guerre : il restera simple soldat et refusera de monter en grade.

Pourvu qu’ils tiennent
La couverture de ce numéro est directement inspirée d’un dessin de Jean-Louis Forain, célèbre illustrateur de presse, comme l’indique la dédicace de l’auteur Serge Avise « à Forain ». A l’origine d’une véritable polémique, Forain a en effet fait paraître dans l’hebdomadaire parisien L’Opinion, le 9 janvier 1915, un dessin représentant deux poilus dans une tranchée avec la légende : « Pourvu qu’ils tiennent – Qui ça – Les civils».

Ce dessin est ressenti par les civils comme une mise en doute de leur détermination dans la guerre et déclenche de nombreuses réactions enflammées. Parmi celles-ci, une chanson intitulée « Ohé ! m’sieur Forain ! » est créée sur une musique d’Aristide Bruant et reprise par les plus grandes vedettes parisiennes du café-concert, dont le comique troupier Polin.
L’incompréhension
Dès lors, cette formule « Pourvu qu’ils tiennent » revient de façon récurrente dans les journaux de tranchées pour ironiser sur les conditions de vie des civils en regard de celles du front. Mais elle témoigne parfois, comme ici dans le n°29 de Rigolboche, de l’inquiétude des poilus quant à leur retour dans la vie civile et parmi les leurs.
La posture du poilu envers ceux qui ne sont pas, comme lui, sur le front est ambivalente, partagée entre la détestation de « l’arrière » en général, et la nostalgie des proches et de sa vie d’avant-guerre en particulier.