Besançon par Abel Monnot (1)

« Aimez-vous flâner ? C’est un goût qui se perd dans un temps où l’humanité se persuade qu’en s’évertuant et se tracassant elle augmente son bonheur.
Agir ! Créer ! Produire ! Je laisse, pour ma part ces infinitifs de prescription aux agités et aux agitateurs, à tous ces professeurs d’énergie chaleureux et congestionnés, assez inoffensifs dans leurs exercices verbaux, mais dès qu’ils passent à l’action, accumulent vite les catastrophes. »
(Abel Monnot, Un Tour de ville, 1927)
L'image à la loupe : vue cavalière (1575) (Ge.c.Besançon.8.1)

« Par comparaison avec eux, on se fait honneur dans sa musardise. S’il lui fallait une excuse, je la trouverais dans la séduction de notre vieux Besançon, de son site, de sa souple ceinture d’eau, de verdure et de collines. Un degré supérieur de flânerie serait évidemment, à l’exemple des vrais sages, de s’accouder aux parapets du pont Battant. Faute d’atteindre d’emblée à cette perfection, vous plairait-il de baguenauder dans nos rues, çà et là, le nez en l’air, et de noter en passant les changements qui ont pu se produire depuis ces dernières années dans l’aspect de la cité ? » (Abel Monnot, Un Tour de ville, 1927).
Abel Monnot est né à Chalon-sur-Saône en juillet 1873 ; professeur au lycée Victor Hugo de Besançon et président de la société des bibliophiles comtois, il est très engagé dans la vie littéraire jusqu'à sa mort en 1944.
En 1938, il nous raconte son Besançon, édité par les bibliophiles comtois. Il s’agit d’une promenade en ville, un poème, plein d’anecdotes et d'histoires documentées. Son livre comprend six chapitres : Toits et cheminée - La grande rue - Saint-Jean - Saint Pierre - Le faubourg Battant - Hors les murs
- L'image à la loupe : le pont de Battant (CP-B-P4-0214 )
- Le livre d'Abel Monnot, illustré par Charles Jouas (BM 69875.1)
Chapitre 1 : Toits et cheminées

Haro sur les va-nu-tête !
« Suivant la mode, maisons neuves et jeunes hommes prétendent aujourd’hui se passer de chapeau. Il n’est pas de ville en France qui ne commence à s’affliger de ces abominables cubes de ciment, rigides et stricts, comme des coffres-forts, de ces terrasses au front chauve, que des architectes malencontreux, dérobant leur stérilité sous un air d’innovation, sans égard aux exigences du climat, aux commodités des locataires, à l’habitude de nos yeux, à l’avilissement même de l’art, osent substituer aux belles pentes de nos combles à la française. Haro sur les va-nu-tête ! »
- L'image à la loupe : Besançon-les-Bains. Ecole Nationale d'Horlogerie (CP-B-P41-0017) (1933)

La toiture de la Madeleine
« Et l’énorme toiture de la Madeleine fait songer à un pachyderme débonnaire, paissant le troupeau des maisons endormies. Une curiosité nous prend cependant de nous pencher plus attentivement sur le visage de la Cité. Sous le moutonnement de ses toits roux n’est-il pas possible d’atteindre sa structure, le principe de sa croissance, le secret de son âme ? »

Se promener ou aller à la bibliothèque
« Vieille de deux mille ans, [la cité] en a long à conter de ses origines et de ses progrès, de ses humiliations et des prospérités. Garde t’elle la trace de ses diverses fortunes ? Quelles époques, quels génies y ont imprimé leur empreinte ? De quels éléments historiques et locaux s’est composée sa personnalité ?
– Autant de questions qui obsèdent le passant et qu’il aimerait à résoudre sans aller s’enfermer aux archives et aux bibliothèques, rien qu’en interrogeant les choses du regard. Livrons nous aux heureuses rencontres d’une flânerie investigatrice. Chacun des clochers qui percent de place en place la houle des toitures nous offre une vigie. Grimpons aux « mâts de la cité », et du haut de la hune tâchons d’épeler ce que les fastes de son histoire ont laissé de plus lisible au lacis de ses rues et à l’aspect de ses monuments. »
- L'image à la loupe : Besançon. Bibliothèque municipale. Grande salle (EST.FC.847)
- (p. 18) Sans aller s’enfermer aux archives et aux bibliothèques
Chapitre 2 : La Grande rue

Les armes de la ville
« C’est la Grand’Rue, l’épine dorsale de la ville, qui sectionne la presqu’île en deux parties égales. Sans déviation mais sans rigidité, elle chemine jusqu’à la lointaine cathédrale, avec la souple allure des choses naturelles, d’une vallée, d’une branche d’un sillage. (…)
Besançon fait ses délices de sa Grand’Rue sarmenteuse ; étroite, active, ardente, c’est l’artère où toujours a battu, de la plus fièvreuse pulsation, le cœur de la Cité. (…)
Jamais la rue ne connut plus de splendeur qu’au temps de Marc-Aurèle. Elle a pour point de départ, au sommet de l’acropole, ce temple de Jupiter dont les colonnes corinthiennes, longtemps restées debout, ont été recueillies par Besançon dans ses armoiries et attestent avec l’aigle impériale qui les soutient la majestueuse antiquité de son origine. Au bas de la pente, glorieux de ses trophées d’armures et de captifs, le récent arc de triomphe donne dignement accès à la Victorieuse, comme s’appelle la colonie de Vesontio (colonia victrix Sequanorum), du surnom d’une légion romaine de sa garnison. »
- L'image à la loupe : registre de comptes de la Ville (CC 481 Manuel des cens...)

Accident de chasse et circulation animale en ville
A propos de l'évêque Tétrade II (vers 725-742), qui meurt après sa déposition au cours d’une partie de chasse : « tel d’entre eux, grand chasseur, mourut peu canoniquement du coup de boutoir d’un sanglier ». Cette fin tragique est proche de celle du prince Philippe, le fils aîné de Louis VI, qui meurt en 1131 à Paris d’un accident de la circulation, représenté dans une enluminure du Ms 677 (Michel Pastoureau vient de publier "Le Roi tué par un cochon").
Abel Monnot continue à décrire la cohabitation en ville des citadins et du bétail. « Longtemps on put voir, chaque matin, à l’appel du berger, sortir des nobles portes cochères gros et petit bétail qui allait paître à Chamars ou vers la Croix d’Arènes. Parfois une vache, en passant, allongeait son museau sur la vasque d’une fontaine Renaissance. »

Gaston Coindre
« Du bourg médiéval il ne reste plus rien, sinon le tracé des rues. Il y a des siècles que les maisons ont dépouillé leurs loques de bois, de torchis et de chaume pour se vêtir de pierre et se coiffer de tuile. Le terrible incendie de 1452 hâta cette transformation. (…)
A peine engagé dans la Grand’Rue, il convient de nous arrêter au numéro 12. (…) Comme les antiques navigateurs saluaient au détour du môle les divinités auxiliatrices, au début de notre long itinéraire, nous rendrons hommage, sur le seuil de la maison où il naquit, à Gaston Coindre, le dessinateur et l’historiographe de Mon vieux Besançon.
Emigré à Paris, où il était fonctionnaire, il garda l’obsession amoureuse de sa ville natale, telle qu’enfant il l’avait connue et chérie. (…) Et comme malgré tout le vieux Besançon disparaissait, il le ressuscita avec la plus intransigeante piété filiale. Rue par rue, numéro par numéro, plume et crayon à la main, il a inspecté, décrit inventorié tous les immeubles.»
- L'image à la loupe : Rue du Chambrier, dans Coindre (Mon vieux Besançon, BM 66385)

La Grande rue
« Elle change en effet au cours de son trajet, moins d’aspect architectural que de tenue et d’habitude : triviale, gouailleuse et grouillante au départ du pont ; bourgeoise et cossue entre l’hôtel de Ville et le palais Granvelle ; austère, imposante, monacale quand elle monte silencieusement vers les solitudes. »
(p. 34) Triviale, gouailleuse et grouillante au départ du pont

L'Hôtel de Ville
« Un coup d’œil en passant sur l’hôtel de ville. Ses bossages noirâtres, ses arcades irrégulières… L’agrément n’en est que plus imprévu… le clocheton du palais de Justice, fleur gracile d’architecture Renaissance. (...) Comment la ville des belles toitures peut-elle tolérer que sa propre maison commune soit si mal coiffée ? »
- L'image à la loupe : Façade de l'Hôtel de Ville (2 Fi 725)

Une promenade musicale
« N’as-tu observé, dit l’Eupalinos de Paul Valéry, en te promenant dans cette ville que d’entre les édifices dont elle est peuplée, les uns sont muets, les autres parlent ; et d’autres enfin, qui sont les plus rares, chantent. C’est un air de Rameau, pavane ou ariette, que vous croirez entendre. »

Les ancres de l'hôtel Pourcheresse de Fraisans
« Le petit corps de logis attenant, d’exquise proportion, s’orne de balcons en ferronnerie du même style que les rampes : délicates volutes où s’élancent des armoiries et des ancres de vaisseau. Fallait-il qu’il fut excédé des souffles du large, le navigateur qui est venu se claquemurer dans ce tiède et voluptueux abri, nid de tourterelle vraiment, plutôt que d’albatros ! »
- L'hôtel Pourcheresse de Fraisans dans l'Inventaire du patrimoine
- (p. 48) Nid de tourterelle vraiment, plutôt que d’albatros !

Le portrait de Nicolas de Granvelle
« Petit-fils d’un forgeron, fils d’un notaire d’Ornans, simple avocat à ses débuts, allez voir au musée le portrait qu’en fit Titien, regardez cette rusticité de carrure, ce teint coloré, ces paupières plissées, la fixité aigüe du regard, ces lèvres minces et closes où l’âpreté du paysan et la cautèle du robin s’allient à une expression de sagesse dominatrice. Sur tous ces traits, ne lisez-vous pas la fatigue de la rude ascension, l’effort des étapes franchies, l’investissement calculé de la fortune et du pouvoir ? »

A propos du palais Granvelle et de l'Académie
« Il lui resta encore assez de place pour y loger à sa naissance l’Académie de Besançon qu’il prit à cœur de fonder sur le modèle de ces académies provinciales si en faveur au XVIIIe siècle. On pouvait dire de ses jeunes attraits : Elle a de fort beaux yeux pour des yeux de province. Sait-on que Bernardin de Saint-Pierre, Parmentier, madame Roland, madame de Charrière ont pris part à ses premiers concours ? »

Métaphore marine
« En fin de journée, tout travail cessant, avec la régularité quotidienne de la marée montante, la circulation devient alors intense. De nouveaux affluents ne cessent de grossir cette crue soudaine »
(p. 55) La régularité quotidienne de la marée montante
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